Page:Paquin, Huot, Féron, Larivière - La digue dorée, 1927.djvu/67

Cette page a été validée par deux contributeurs.
65
LE ROMAN DES QUATRE

je serai sans pitié, Landry, je serai sans pitié, entends-tu ? Et tu sais ce que ces mots signifient dans ma bouche.

Tu as deux longs jours pour réfléchir aux termes du marché que je te propose, je te laisse à tes réflexions.

Ton juge,

HENRI MORIN.


Nous étions au jeudi après-midi quand parut cette troisième lettre du mystérieux financier. Dans la soirée, la nouvelle la plus troublante circulait dans les rues de la ville : « Jeannette Chevrier était disparue. »

À huit heures, un extra parut donnant les circonstances de ce nouvel enlèvement.

Vers deux heures, un commissionnaire s’était présenté à son domicile et lui avait remis une lettre. À Madame Hardy, la jeune fille avait dit de ne pas l’attendre pour le souper. La brave femme avait voulu la retenir, mais Jeannette s’était obstinée à sortir. Depuis, on ne l’avait pas revue. Inquiète, la brave servante avait téléphoné chez Madame Crevier vers six heures et la tante de l’orpheline lui avait déclaré ne pas l’avoir vue de la journée. Madame Hardy avait alors perdu la tête et avait appelé les quartiers généraux de la police. En quelques instants, la nouvelle de la disparition de l’orpheline s’était répandue dans la ville entière.

Les esprits commençaient à s’exaspérer quand, vers dix heures, la station de Radio Marconi interrompit un moment l’irradiation de son concert symphonique. La voix du préposé se fit alors entendre : « Monsieur Henri Morin nous prie d’avertir le public de ne pas s’émouvoir de la disparition de Mademoiselle Chevrier. C’est à sa demande et pour sa propre sécurité qu’elle a dû quitter sa demeure. Elle est actuellement cachée en lieu sûr. La lettre que Monsieur Morin publiera demain donnera les raisons qui ont motivé cette fuite. »

Quatrième lettre :


« Mon cher Landry,

« Tu n’es pas philosophe, mon vieux, pas philosophe pour deux sous. D’un forban de ton espèce, j’attendais plus de nerfs… Pourquoi être entré en une colère bleue, hier, à la simple lecture de ma lettre ?

« Tu réalises que la comédie achève, comédie où tu tiens le rôle du dadais, du dupé, du Géronte imberbe… et tu enrages. À quoi bon vouloir lutter contre moi, tu savais que tu étais battu d’avance… Et quelle défaite ! Quelles richesses tu perds ! La Digue Dorée ! Quel beau nom et quelle belle mine !… Elle contient des acres et des acres en superficie, des veines aurifères de vingt et trente pieds de largeur, un minerai fabuleux près duquel les quartz de la Hollinger et de la Dome ne sont que de vulgaires cailloux… Tu te rappelles les quelques échantillons que tu as volés dans la tente de Germain et qui t’ont révélé la découverte de mon ami ? Leur seule vue avait suffi à attiser ta convoitise, sur le seul témoignage de ces quelques pierres, tu n’as pas hésité un seul moment dans la voie criminelle que tu as suivie depuis… Et cependant, ces échantillons avaient été pris à quelques pieds de la surface, ils ne donnaient qu’une faible idée de la richesse incommensurable de la mine de Lafond…

« Eh bien ! en dépit de toutes tes machinations, ces richesses t’échappent… Dans six mois, les flancs de cette terre fabuleuse nous livreront leurs trésors, nous sortirons ces briques d’or dont la seule pensée te donnent le vertige et si tu ne te rends pas à mes ordres, alors que, là-bas, nous ferons sauter les pans de roc aurifère, toi, tu casseras de la roche à Saint-Vincent de Paul.

« La perspective est belle, n’est-ce pas, espèce de nigaud ?

« Hésites-tu encore à rendre Germain à la liberté ? Je veux aller jusqu’au bout de la franchise avec toi, je veux te démontrer comment tes intrigues sont stériles. Pour ce que je vais te dire en ce moment, j’avais besoin que la fiancée de mon protégé soit en sécurité et depuis hier soir, elle est hors de ton atteinte, je puis donc te parler sans crainte.

« La séquestration que tu fais subir à Lafond est inutile car, même s’il consentait à se laisser dépouiller, il ne le pourrait pas. Comprends-tu ta folie maintenant ? Le permis minier sous lequel est enregistrée cette mine a été pris au nom de Mademoiselle Jeannette Chevrier… C’est donc elle, et non lui, qui en est propriétaire. C’est ce qui explique comment, en dépit de tes recherches, tu n’as pu retracer le nom de Lafond sur les registres de l’état.

« Après cette révélation, hésiteras-tu encore ? À ta guise ; mais souviens-toi que, passé le délai, je serai sans merci, geôlier d’opérette !

« À demain,

HENRI MORIN ».


La cinquième communication de Morin,