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LE ROMAN DES QUATRE

restation de Lafond au Château Frontenac, il y a surtout toute une scène passée à l’Hôtel Mont Royal alors que Landry, se croyant seul, aurait proféré contre Lafond et sa fiancée les pires menaces.

— Et ce Philéas, est-ce une nouvelle figure ?

— On en avait entendu parler vaguement lors de l’arrestation du présumé Lafond, au Château Frontenac.

— Et le scope de la « Nation ».

— Celui de la « Nation » est encore plus troublant. Mais que dis-je, ce n’est pas un « scope », c’est deux que ce journal nous offre. D’abord une communication du frère de Pierre Landry, déclaration avec preuve à l’appui, à l’effet que ce pauvre Pierre Landry serait mort à Vancouver depuis plus d’un an. Voilà, n’est-ce pas, qui corse encore l’affaire.

— Certes oui ! dis-je en simulant l’étonnement.

— Mais ce n’est pas tout. Dans le même journal, il y a une « lettre ouverte » de Henri Morin à ce même Landry.

— Vraiment ? Laissez-moi voir ?

— Tenez, lisez :


L’AFFAIRE LAFOND


À l’escroc Pierre Landry,

Quelque part en la Province de Québec.
Triple imbécile :

Je ne sais si tu commences à être las de séquestrer mon ami Lafond ; mais ce que je puis t’assurer, c’est que je trouve que la comédie a duré assez longtemps et qu’il va falloir y mettre fin. À quoi bon d’ailleurs vouloir jouer avec moi, tu sais bien, fat personnage, que tu n’es pas de force à soutenir le combat. Tu te crois fort parce que tu séquestres Lafond ? Et après ? Tenir Lafond n’est pas tenir son secret et ce secret, tes menaces stériles seront toujours impuissantes à le lui arracher. Comprends-moi bien, quoique tu fasses, tu ne mettras jamais ta sale main sur la mine de Lafond… Et cependant, elle existe cette mine, moi qui t’écris, je l’ai visitée sur tout son parcours, j’ai mesuré ses larges veines quartzeuses où scintille l’or fauve… j’ai détaché à profusion ces cristaux de galène qui accompagnent toujours les dépôts d’or natif, j’ai calculé au million de piastres près la fortune énorme qu’elle constitue ; mais toi, Landry, jamais, entends-moi bien, jamais tu ne fouleras le sol de ce nouvel Eldorado !

Attention Landry, surveille bien ton prisonnier… Je sais où tu le caches, aucun de tes mouvements ne m’échappe et à la moindre défaillance, je délivrerai mon ami captif et tu seras pris toi-même. Encore cinq jours, Landry la canaille, et Lafond sera rendu à la liberté.

À bientôt,

HENRI MORIN.


— Eh bien, Notaire, que pensez-vous de ceci ?

— Je pense que si le cœur vous en dit, nous allons jouer une bonne partie d’échecs.

— Une partie d’échecs ! Vous êtes un homme extraordinaire, Notaire, vouloir jouer aux échecs quand une telle série d’embêtements vous tombent sur la tête.

— Puisque je vous dis que tout va s’éclaircir.

— Comme vous voudrez. Laissez-moi vous dire que je suis heureux de vous trouver en une telle quiétude.

Il était près de minuit quand mon ami me quitta. Je me retirai dans ma chambre où j’avais apporté tous les journaux de la semaine. conservés à mon intention par mon clerc.

Les rapports des deux premiers jours de mon absence ne faisaient pas mention de l’affaire Lafond, mais dans le troisième numéro du « Monde » on faisait allusion à la demande d’incorporation que j’avais faite. Le lendemain, le journal précisait et tout en ne faisant aucun commentaire désagréable sur ma conduite, on donnait copie de cette demande d’incorporation. Le cinquième jour, le journal publiait un article presque libelleux intitulé : « Un notaire introuvable » et quoique l’on ne mentionnât pas mon nom au cours de cet article, mis en regard du numéro précédant, le coup ne pouvait manquer son but.

C’est alors que la « Nation » avait commencé à me défendre.

Je dus m’endormir très tard cette nuit là, car il était près de dix heures quand je m’éveillai le lendemain.

Je m’habillai à la hâte, allai prendre un léger déjeuner au restaurant voisin et quand je revins au bureau, une heure plus tard, une jeune fille m’y attendait.

— Mademoiselle ?

— Jeanne Chevrier…

— Mais oui ! je me souviens avoir vu votre photo dans les journaux. Que puis-je faire pour vous ?