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LE ROMAN DES QUATRE

parole que, quoiqu’il se produise, vous me garderez le secret sur les circonstances qui ont précédé et accompagné cette demande d’incorporation. Le mystère qui intrigue est ma plus forte carte en cette transaction.

— Je vous la donne sans hésitation, mon ami, un notaire est en quelque sorte un confesseur pour ses clients.

Pourquoi ai-je prononcé cette phrase qui scellait à jamais mes lèvres ? Mais au fait, même si je ne l’eusse pas prononcée, aurais-je pour cela trahi la confiance que l’on mettait en moi ?


VI


Pourquoi, dès la porte fermée sur mon visiteur, me suis-je senti un tel malaise ? Pourquoi, l’une après l’autre, toutes les anomalies de la conduite de mon compagnon de rencontre me frappèrent-elles ? Son nom ? Je ne m’étais jamais soucié de le lui demander. Le coin où il se cachait dans la montagne Laurentide ? Ma foi, il s’était toujours gardé soigneusement de m’inviter à le visiter et s’il en parlait, c’était très vaguement. De sa place d’affaire même il ne m’avait jamais parlé avec précision. Il habitait New-York, disait-il, il y dirigeait une maison de finance, mais jamais il ne m’avait donné d’adresse précise. Pourquoi ce mystère ? Pourquoi, ce soir même, avoir parcouru plus de soixante milles dans l’obscurité de la nuit pour venir me trouver alors qu’il aurait pu si facilement effectuer ce trajet de jour ? Pourquoi avait-il profité de la nuit pour effectuer le voyage de retour ?

Autant de questions qui, en un autre moment, ne me seraient pas venues à l’esprit, mais qui, liées à ce projet d’incorporation d’une compagnie au capital fabuleux sous la raison sociale de « La Digue Dorée, Incorporée », se posaient angoissantes à mon esprit.

Je ne me sentais pas sommeil et, pour faire diversion à ces pensées, je me mis immédiatement au travail. J’avais, dans la série complète de la « Gazette officielle de Québec », tous les matériaux nécessaires à la rédaction d’une demande de pouvoirs pour compagnie minière et, en moins de deux heures, le projet en était dressé et n’attendait plus que la signature des pétitionnaires.

Je savais que je pouvais compter sur la discrétion absolue de mon clerc et de ma dactylographe, Mademoiselle Lorraine Moreau. À nous trois, nous pouvions former le bureau provisoire requis par la loi. Dès le lendemain matin, je fis venir un de mes confrères qui reçut nos signatures et nous assermenta et, à midi, le tout prenait la direction de Québec.

Tant que le travail avait duré, j’avais été trop absorbé pour me laisser aller à aucune considération qui ne s’y rapportât pas essentiellement ; mais, lorsque l’enveloppe fatale fut jetée dans la boîte aux lettres, je me sentis de nouveau très nerveux.

Il était l’heure du dîner et, comme j’en ai l’habitude lorsque je suis seul en ville, je me dirigeai vers le « Café Saint-Jacques » où je dîne chaque jour en compagnie de clients assidus de la maison qui, à force de se coudoyer chaque midi, finissent par devenir de vieux amis. Mais aujourd’hui, je me sentais mal à l’aise, il me semblait que tous me lançaient des regards chargés de défiance. Et cependant, je n’avais fait aucune action répréhensible…

Après le repas, je retournai à mon bureau, mais je me sentais las et harassé. Pour faire diversion, je me dirigeai vers la montagne, endroit de mes promenades favorites. J’ai la marotte des fleurs et des insectes et le spectacle de la vie mouvementée des petits et des humbles m’intéresse infiniment plus que les courbettes et les intrigues de mes semblables.

Aussi, la vue d’une fourmilière me fit-elle bien vite oublier mes préoccupations, voire même l’heure, car il était près de huit heures quand je me décidai à redescendre en ville.

Je trouvai ma maison fermée et sur mon bureau, une enveloppe adressée à mon nom et un billet de ma dactylographe. « On est venu porter cette lettre pour vous au moment où je fermais le bureau », me disait Mademoiselle Lorraine.

J’ouvris l’enveloppe et, sur la feuille qu’elle contenait, je lus :


« Mon cher Notaire : —

Je vous félicite de votre promptitude et j’en augure bien pour l’avenir. J’ai votre parole quant au secret à garder. N’oubliez pas ma recommandation : Discrétion et surtout… mystère. Si vous ne vous sentiez pas le courage de continuer l’aventure jusqu’au bout, il est encore temps de vous retirer.