Page:Paquin, Huot, Féron, Larivière - La digue dorée, 1927.djvu/51

Cette page a été validée par deux contributeurs.
49
LE ROMAN DES QUATRE

sont écoulées depuis cette date et les raisons qui militaient jadis en faveur de mon silence n’existent maintenant plus.

Ce n’est que par un hasard professionnel que j’y fus mêlé et je frémis encore à la pensée des nuits d’insomnie que cette affaire m’a values.

Deux heures plus tard, j’entrais chez moi apportant dans un assez volumineux carton, le mémoire rédigé par mon ami. Qui mieux que lui pouvait donner le mot de cette brûlante énigme ? C’est à lui que je passe la plume.


II


On se rappelle la série des événements tragiques qui se déroulèrent à la suite de l’arrestation de Germain Lafond. J’ai devant moi une liasse de découpures de journaux racontant ces faits. Je vais les transcrire à titre de mémoire.

Le soir même de l’arrestation de l’ingénieur, le « Monde », grand quotidien de Montréal, publiait toute une page sur ces tragiques événements.


« L’AFFAIRE LAFOND SE COMPLIQUE. — CE QUI EXPLIQUERAIT POURQUOI LE CERCUEIL ÉTAIT VIDE ».


(De notre correspondant spécial)


Québec, 2 Août. — Germain Lafond, ingénieur civil à l’emploi du gouvernement fédéral, n’a pas été assassiné comme on l’a prétendu. Il était même inscrit au Château Frontenac, ce matin, et a été la cause de toute une sensation alors qu’un individu, voulant le personnifier, a été arrêté par la police locale. Notre jeune compatriote s’était retiré au Château dans le but de vendre à certains magnats de la finance canadienne, une mine excessivement riche qu’il a découverte dans la région de l’Abitibi. C’est au moment où le marché allait être conclu qu’un individu s’est présenté et a déclaré être le vrai Germain Lafond. Heureusement, le financier avec lequel transigeait le hardi explorateur, a exposé le personnage et a demandé son arrestation.

Lafond se serait tenu caché depuis de longs mois afin de faire échouer le complot d’une bande organisée dans le but de le frustrer de sa découverte. On y serait probablement parvenu sans l’intervention si à propos de Monsieur Henri Morin, le financier avec lequel transigeait l’ingénieur.

Dame Rumeur veut que la mine de Lafond soit ce que l’on a découvert de plus riche depuis les placers du Pérou ».

Et le journal continuait : « Comme le « Monde » a été le premier quotidien à l’annoncer, il y a quelques jours, les autorités fédérales ont ordonné l’exhumation du cercueil de Germain Lafond, ce jeune ingénieur canadien-français que l’on disait être mort accidentellement à Golden Creek. Or ce cercueil était vide. Un de nos confrères montréalais avait même été jusqu’à annoncer l’arrestation du meurtrier présumé. Malheureusement pour la feuille de la rue Sainte-Catherine, notre information était fondée et son canard tombe à l’eau puisque Germain Lafond est bel et bien vivant. Bien plus, nous sommes aujourd’hui en présence de deux Germain Lafond. Il est vrai d’ajouter qu’au moment où nous allons sous presse, l’un d’eux est derrière les barreaux d’une prison ».

Mais le lendemain, la « Nation » répliquait : « Notre épais confrère de la rue Saint-Jacques a voulu faire de l’esprit, hier, sur notre information. Il a traité de canard l’annonce de l’arrestation du nommé Paul Durand, arrestation constatée par documents officiels, et, à son tour, il a lancé le plus piteux canard qui n’ait jamais vu le jour sous les auspices d’un journal digne de ce nom.

Interrogé par notre représentant à Québec au sujet de la prétendue arrestation opérée au Château Frontenac, hier matin, le chef de police de la vieille capitale a déclaré n’avoir donné aucun ordre à cet effet et n’avoir même reçu aucun prisonnier quelconque aux quartiers généraux de la police depuis plus de trois jours.

— Mais enfin, Chef, vous avez dû prendre connaissance de cette information parue dans un quotidien montréalais à l’effet qu’un individu voulant se faire passer pour Germain Lafond, aurait été arrêté au Château Frontenac ?

— Vous êtes la première personne à m’en parler… et cependant, si tel avait été le cas, vous m’avouerez que j’aurais dû en être informé.

— Mais, alors, ce ne serait ?…

— Qu’un canard ? Songez, mon ami, que dans deux mois la chasse sera ouverte. À