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LE ROMAN DES QUATRE

il se fit donner un superbe appartement, avec vue sur le fleuve admirable. Mais il ne vit aucune des beautés pittoresques qui s’offraient à ses regards. Elzébert était tout à fait absorbé en lui-même. Il réfléchissait sur ce qu’il allait faire ou ne pas faire. Il était fort embêté et perplexe. Il eut un peu l’espoir que bientôt Jeannette viendrait frapper bien gentiment à sa porte… il n’en fut rien ! Car les heures s’écoulèrent, et nul ne sembla s’occuper d’un certain Elzébert Mouton. L’ennui vint. S’il allait faire une promenade par la cité ? À quoi bon, il était dégoûté ! Et puis, il était joliment retenu par la crainte de faire quelque vilaine rencontre.

Machinalement, et mû probablement par l’ennui, il se mit à défaire ses malles. La vue d’une bouteille de cognac le fit sourire d’aise… c’était son premier sourire depuis qu’il n’avait pas revu Jeannette.

— Je vais toujours bien me dessécher la luette, se dit-il, après, on verra. Et puis, cette boisson va peut-être me donner des idées et éclaircir celles que j’ai déjà et qui sont fort embrouillées.

L’esprit accaparé par mille sentiments divers, Elzébert oublia qu’il vivait depuis quelques jours parmi un monde policé et raffiné, il porta tout simplement la bouteille à ses lèvres, et de cette bouteille il tira cinq ou six terribles lampées.

Hem !… fit-il après un moment. Je sens déjà que ça me ravigote le corps. Tout à l’heure, je prendrai encore un bon coup, et, après, je serai, je pense, d’aplomb sur tous les côtés.

Il s’approcha d’une fenêtre et regarda distraitement le fleuve, des voiles blanches qui se gonflaient dans la brise du matin, des navires qui s’élançaient vers la mer lointaine en laissant derrière eux un long panache de fumée noire… Il regarda mille autres choses, plus ou moins intéressantes, mais il ne voyait rien ! Il continuait à s’abîmer en lui-même, il continuait de s’ennuyer !

À l’heure du petit déjeuner, il se fit servir une collation dans son fumoir.

Il était neuf heures.

Après la collation il se mit à marcher par son appartement pour se dégourdir. De temps en temps il absorbait une gorgée ou deux de liqueur.

Un peu plus tard, il alluma un cigare.

De nouveau il alla à sa fenêtre. Sur la terrasse, en bas, quelques promeneurs matinaux se délassaient. Il vit des camelots annonçant les journaux du matin.

Pour tromper ou chasser son ennui, Elzébert voulut lire les nouvelles du jour. Il sonna un chasseur et lui commanda un exemplaire de « l’Événement ».

Dix minutes après, et après avoir lampé le reste de sa bouteille de cognac, allumé un excellent cigare, Monsieur Elzébert Mouton, plongé en un fauteuil moelleux, lisait son journal !

Mais que c’était banal !…

Pourtant… oui, pourtant, là, tout à coup, un fait divers le surprenait, l’intéressait, le captivait, et dame ! il s’en fallut de bien peu que ses yeux ne se désorbitassent !

Qu’était-ce donc ce fait divers prodigieux ?

Voici…


Un Mystère qui se complique !


Notre journal a déjà rapporté le mystérieux assassinat d’un ingénieur canadien, Germain Lafond, perpétré, quelques mois passés, dans le Nord Ontario. Jusqu’ici la police n’avait pu dépister le ou les assassins. Ces jours derniers, le gouvernement Fédéral ordonnait l’exhumation du cadavre pour en faire l’examen, mais grande fut la stupeur lorsqu’on retira de sous six pieds de terre un cercueil vide ! Le mystère semblait s’approfondir davantage, lorsque la Police de Montréal eut la bonne fortune de mettre la main sur l’assassin de Lafond, un certain Paul Durand qui, durant deux années, avait été le compagnon du malheureux ingénieur. La police espérait que cette capture ferait lever le voile du mystère, surtout au sujet du cercueil vide. On comptait faire parler l’accusé. Mais voilà qu’hier un personnage nouveau entre en scène. Ce personnage — dont, pour certains motifs de haute importance, on cache présentement le nom — est venu certifier et jurer que le pseudo-meurtrier de Lafond, Paul Durand, est tout à fait innocent du crime dont on le charge ; que, lui, ce personnage, connaît le véritable assassin et qu’il se charge de l’amener avant longtemps pieds et poings liés devant les tribunaux… Naturellement, sur la parole et la garantie de ce personnage, le malheureux Paul Durand qui, dit-on,