Page:Paquin, Huot, Féron, Larivière - La digue dorée, 1927.djvu/29

Cette page a été validée par deux contributeurs.
27
LE ROMAN DES QUATRE

L’homme amplifia son sourire et, regardant son compagnon, parut échanger avec celui-ci un coup d’œil d’intelligence. Aussitôt, l’autre exhiba d’une poche intérieure de son léger pardessus un papier quelconque.

— Monsieur Durand, reprit le premier personnage en diminuant son sourire, qui d’ironique parut se faire amer, nous sommes bien chagrinés de venir vous apprendre une mauvaise nouvelle… nous venons vous arrêter !

— M’arrêter !… s’écria Paul en tressautant. Et ses yeux, déjà agrandis par l’étonnement, parurent tenter la fuite hors des orbites.

Elzébert, lui, avait sauté en l’air. Puis, dans un geste aussi rapide que l’éclair, il porta une main à la poche de son pantalon.

— Halte-là, vous, l’ami Mouton ! commanda le premier étranger, pas de sottises !

Elzébert et Paul reculèrent, par précaution instinctive, devant le canon menaçant d’un revolver de gros calibre.

— Messieurs, ajouta l’inconnu, nous ne sommes pas ici pour plaisanter… haut les mains !

L’injonction était fort péremptoire. Aussi, les deux compères, tout abasourdis par cette nouvelle aventure, n’osèrent pas se faire prier… ils levèrent les mains, ils les levèrent même aussi haut qu’il leur était possible.

L’agent de police, dont le sourire avait repris sa teinte narquoise, ordonna à son compagnon :

— Veuillez les fouiller bien minutieusement !

L’autre obéit avec une docilité remarquable ; et avec une adresse de pickpocket il enleva aux deux trappeurs leurs armes.

— Ah ! ça, fit Paul dont la stupéfaction se changeait en une sorte de lourde hébétude, allez-vous me dire au moins pour quel motif vous m’arrêtez ?

— Voici le mandat d’amener, répliqua l’autre policier en déployant le papier qu’il tenait encore à la main. Ce papier, il le parcourut du regard, puis il se mit à lire ceci : « Pour avoir assassiné, près de Golden Creek, un ingénieur du gouvernement… Germain Lafond ! »

Notre lecteur peut imaginer quelque chose comme un coup de foudre subit dans un ciel sans nuages et rayonnant… Les deux compères en perdirent le souffle, et pour un peu ils se fussent tous deux évanouis.

Et, de fait, pour l’un d’eux le coup sembla assommant : sitôt que Paul Durand eut été emmené par les deux agents de police, Elzébert tomba lourdement sur un sofa, non évanoui, fort heureusement, mais tout sur le point de perdre la notion de la vie ou de la réalité !…


II


Longtemps Elzébert demeura désemparé. Sa première désespérance fut la pensée de se trouver seul enfoncé dans un inextricable mystère. Tout à l’heure, ce mystère lui avait semblé assez profond déjà pour qu’il pût douter de le sonder avec succès ; à présent, le même mystère s’amplifiait à l’infini, il se creusait d’une façon effarante : son ami, son bon ami, Paul Durand, était jeté dans les fers pour avoir assassiné Germain Lafond !

N’était-ce pas assez pour écraser un mont sur ses assises ?

Elzébert, d’un poing durement crispé, frappa son front livide, il frappa deux fois, trois fois, comme s’il eût voulu ébranler quelques solides et sombres parois qui empêchaient la clarté de pénétrer dans son entendement. Car une nuit d’encre enveloppait son cerveau. Mais ce geste eut l’heureux effet de dissiper les ténèbres ; et Elzébert se dressa tout à coup avec un rayon de triomphe dans l’éclat de ses yeux.

— Le mystère !… murmura-t-il avec un sourire convaincu.

Disons-le franchement, Elzébert, à cette minute même, avait cette expression triomphale que dut avoir Archimède trouvant enfin la solution de ses âpres problèmes.

— Le mystère ! répéta-t-il. Mais il n’y a plus de mystère… l’assassin de Lafond est trouvé !

Quoi ! Elzébert devenait-il fou ?

Pas du tout ! Il tenait l’enivrante solution ! Enfin, il perçait les ténèbres, ou, mieux peut-être, ces ténèbres venaient de se dissiper, mais non comme la nuit se dissipe doucement aux lueurs tendres d’une aurore, mais comme sous un coup de soleil éclatant et subit. Oui… Germain Lafond avait été assassiné par Paul Durand !

Et comme c’était simple !

— Mais comment, diable, n’ai-je pas pensé à cela plus tôt ? se demandait Elzébert. L’envie le prenait de se retaper le front. Oui, comment n’ai-je pas deviné le jeu de ce sournois ? Je vois bien à cette heure où se trouvait le chiendent. Oui, mais encore qui aurait pensé ça ? Pourtant, si je me rappelle bien,