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LE ROMAN DES QUATRE

La porte était ouverte. Les deux compagnons entrèrent dans la maison avec de grandes mesures de prudence.

Ils marchèrent alors dans un grand corridor obscur.

Soudain ils entendirent un long gémissement qui semblait venir du deuxième étage.

— Chut ! fit doucement Elzébert.

À ce moment, une personne quelconque commençait à descendre l’escalier près duquel les deux compagnons se trouvaient.

Mouton se cacha du mieux qu’il put dans un coin et attendit.

C’était un homme qui descendait.

Il paraissait être athlète, bâti qu’il était comme un géant.

Au moment où il mettait le pied sur la dernière marche de l’escalier, Elzébert lui appliqua sa main en bâillon sur la bouche et lui asséna un formidable coup de poing dans la poitrine. Pris par surprise, l’homme ne put se défendre. Il avait déjà perdu connaissance par la force du choc.

Mouton était en effet un athlète peu ordinaire.

Ils ficelèrent l’inconnu comme le premier, et Mouton lui appliqua un mouchoir sur la bouche, le jetant ensuite dans un garde-robe.

Les deux compagnons montèrent alors au second étage. Une seconde plainte se fit entendre. Cette fois elle venait sûrement de la chambre en face de laquelle ils se trouvaient.

— Maintenant, il s’agit de jouer le tout pour le tout, dit Elzébert.

— C’est drôle, je n’ai plus peur, dit Paul.

— Tant mieux.

Et il frappa doucement à la porte après avoir constaté que celle-ci était fermée à clef.

Ils entendirent les pas de quelqu’un qui venait ouvrir. La porte n’était pas encore entre-bâillée que Mouton avait sorti son revolver. Puis il poussa la porte du pied et entra dans la pièce.

— Pas un mot, vieille vipère, ou je tire ! Je te tue comme une chienne, dit-il, à la vieille femme ratatinée qui était venue lui ouvrir la porte.

La femme obéit et resta muette, mais dans ses yeux on pouvait voir une lueur de colère féroce.

Les deux compagnons examinèrent la pièce. Leur vue alla d’abord au lit sur lequel était couchée une fille qui gémissait. Ils s’approchèrent du lit et reconnurent immédiatement Jeannette Chevrier qui était ligotée des pieds au cou.

— Mon Dieu ! Mon Dieu ! dit-elle en les voyant. Mes amis, mes bons amis, êtes-vous venus me délivrer ? J’ai tant de peine, tant de troubles, tant de misères, je crois que je vais mourir. Emmenez-moi pour l’amour du Ciel !

— Oui, oui, mademoiselle, dit Elzébert, nous allons vous emmener tout de suite.

La vieille fit un mouvement. Mouton lui appliqua le canon de son revolver sur la tempe.

Pendant ce temps, Paul Durand avait sorti son couteau de poche et coupait les liens de Jeannette Chevrier. Il aida à la jeune fille à se lever.

— Et quant à toi, la vieille, dit Elzébert sur un ton menaçant, on va se revoir avant longtemps, tiens-toi le pour dit, hein ! Et quant à vous, mademoiselle Jeannette, suivez-nous et n’ayez plus peur.

— J’ai peine à marcher ! gémit douloureusement la jeune fille.

— Nous allons vous supporter.

L’instant d’après la jeune fille et ses deux sauveteurs descendaient l’escalier, suivis par la vieille femme qui grommelait sourdement.

Au bas de l’escalier, nos amis saisirent un bruit quelconque dans une pièce voisine du vestibule, comme si un homme survenait rapidement.

Elzébert et Durand, supportant Jeannette, marchèrent précipitamment vers la porte. Mais ils trouvèrent celle-ci fermée à clef.

Terrible, Elzébert se tourna vers la vieille femme qui les considérait avec un sourire ambigu à ses lèvres parcheminées.

— Vieille, ordonna Elzébert, ouvre cette porte, et vite si tu ne veux pas aller voir satan, ton époux !

À nouveau il braqua son revolver sur la femme.

Croyant que ce terrible inconnu allait tenir parole, et pas tout à fait disposée peut-être à aller rejoindre son « ténébreux époux », elle courut à la porte, tira une clef dissimulée sous son tablier et ouvrit l’huis.

Il était temps : un rude et terrible gaillard venait d’apparaître dans une porte voisine, et cet homme avait proféré un juron retentissant.