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LE ROMAN DES QUATRE

Elzébert ouvrit.

C’était un des commis de l’hôtel qu’il y avait là.

— Vous êtes bien Monsieur Durand ?

— Non. Mon nom est Mouton… Elzébert.

— Eh bien ! messieurs Mouton et Durand, quelqu’un vous attend au salon et vous fait dire qu’il s’agit d’affaires très urgentes.

Quand ils furent seuls, Durand déclara :

— Moi, je n’y vais pas, je ne suis pas encore prêt à mourir. Celui qui est au salon va nous assassiner, c’est sûr.

— Mais non. Rappelle-toi que nous avons jusqu’à demain soir pour quitter la ville. Jusqu’à demain soir notre vie n’est pas en danger. Rappelle-toi que nous n’avons pas que des ennemis à Montréal ; hier soir quelqu’un nous a dit : « N’ayez aucune crainte ! Espérez… espérez une grande joie ! Une grande joie infinie vous attend ! »

— C’est pourtant vrai.

— Prends ton revolver, je vais prendre le mien. À la moindre alerte, le revolver au poing ! Nous vendrons chèrement notre vie. Es-tu prêt ?

— Je crois que je vais y aller.

Ils s’armèrent tous deux, et, la main dans la poche où se trouvait leur arme, ils descendirent prudemment au salon. Quand ils se trouvèrent près de cette pièce, ils redoublèrent de prudence. Elzébert jeta un coup d’œil furtif par la fente que faisait la porte entre-bâillée.

— C’est une femme qu’il y a là, dit-il.

— Diable ! qu’est-ce que ça veut dire ? Que peut-elle nous vouloir ? Est-ce une jeune femme ?

— Ni jeune ni vieille.

— Belle ?

— Ni belle ni laide.

— Tes renseignements sont maigres, aussi bien d’entrer.

Ils entrèrent.

La femme se leva. Elle était grande, svelte. Sa figure était un peu ravagée par le temps. Elle indiquait 40 ans peut-être et n’était point belle ; mais elle avait cet air attirant qui nous rend tout de suite une personne sympathique.

— Vous êtes bien messieurs Mouton et Durand ? demanda-t-elle.

— Oui, madame…

— Je suis madame Ernest Chénier.

— Ah !

— Oui, je sais que vous ne me connaissez pas. Je viens au sujet de mademoiselle Jeannette Chevrier.

Elzébert et Paul se regardèrent ahuris, hébétés. De quoi pouvait-il bien s’agir encore ?

— Ah !… répéta Elzébert.

— Vous avez eu hier, n’est-ce pas, la visite de mademoiselle Chevrier ?

— Mais non, madame, firent-ils en chœur, au comble de la surprise et de la stupéfaction. Jamais Mlle Chevrier n’est venue nous voir ici.

— Cependant, vous lui aviez, n’est-ce pas, envoyé une lettre pour lui demander de venir ici vous rencontrer ?

— Mais, jamais de la vie !

Elzébert et Paul avaient les yeux grands comme des dollars d’argent américains.

Madame Chénier s’écrasa dans une chaise, pâle, très pâle.

— Mon Dieu ! Mon Dieu ! fit-elle, c’est effrayant !

— Il lui est sans nul doute arrivé un grand, un très grand malheur. Elle n’aurait jamais dû accepter cet argent, ces milliers de piastres maudites ; je le lui ai dit d’ailleurs.

— Mais de quel argent parlez-vous ?

— Laissons cela, messieurs, je vous en reparlerai plus tard. Pour le moment, il s’agit de retrouver Jeannette.

— Ah ! elle est disparue ?

— Oui, je m’en vais vous relater son histoire. Elle reçut une lettre. La pauvre petite était venue chez moi, sa tante, pour me rendre visite hier. C’était une lettre supposée être de vous. Tenez, messieurs, voici la lettre. Elle l’a laissée sur le buffet de la salle à manger avant de partir. Lisez.

Elzébert lut :

« Mademoiselle Jeannette Chevrier,

« 2112, rue Saint-Denis, Montréal.

« Mademoiselle,

« Voulez-vous avoir l’extrême obligeance de venir nous voir à notre hôtel, 1218 rue Peel, demain matin à onze heures. Nous avons une communication très importante à vous faire au sujet de Germain Lafond. Vous trouverez sans doute étrange que nous n’allions pas nous-mêmes à la maison où vous vous trouvez ; mais ce-