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de prendre des mesures immédiates contre des dangers aussi alarmants que ceux de la rébellion, de l’invasion étrangère et de la dépopulation par la désertion en masse de peuples réduits au désespoir. »

Tel est le gouvernement anglais peint par lui-même. Telle l’esquisse adoucie et flattée de la condition qu’a faite à ces colonies cette aristocratie prétentieuse qui pose devant les nations, et se donne comme un modèle de sagesse et de science, qu’elles doivent étudier et copier pour apprendre à se gouverner. L’une de ses supériorités les plus éminentes, est ce lord Durham qui a signé le rapport qui contient les accusations sanglantes, quoique affaiblies qu’on vient de lire. Rien n’est plus propre à faire ressortir combien est artificiel et faux le système social de l’Angleterre, que la réputation de capacité, de lumières et de libéralité qu’a usurpée ce despote ignorant. Ses prétendus rares talens, ses prétendues hautes vertus ont été le motif qui a réuni en sa faveur tous les partis en parlement, et lui a fait déférer la dictature, comme s’il n’était pas présumable qu’il pût en abuser.

Et cependant, sous moins d’un mois, après s’être saisi avec empressement de cette toute-puissance qui avait troublé de bien plus fortes intelligences, corrompu de bien plus pures vertus que les siennes, il s’était déshonoré par des proscriptions infâmes prononcées sans enquête contre des hommes innocens. Sous deux mois, il était désavoué et censuré par le parlement. Sous trois mois, ce sage envoyé par apaiser la révolte y tombait lui-même, et, avec autant d’étourderie que de pétulance, renvoyait sa commission, désertait son poste, sans l’autorisation du pouvoir qui l’y avait installé, puis laissait tomber au hasard cette dictature créée pour lui seul, entre les mains du premier soldat de fortune qui par son grade se trouverait avoir le commandement en Canada.

Deux traits suffiront pour prouver combien est faible la tête, et mauvais le cœur d’un homme si mensongèrement adulé. Celui qui a pu signer le rapport ci-dessus écrit, a osé dire publiquement à des députations en Canada : « Ce ne seront pas cent ans, ni trois cent ans, ni mille ans qui verront la séparation de ces provinces d’avec la métropole. Elles sont un des plus beaux joyaux de la couronne, elles doivent donc en être une dépendance éternelle, et ce n’est que pour obtenir ce résultat que, revêtu de l’amplitude des pouvoirs propres à l’assurer, j’ai consenti à me déplacer. » Fut-il jamais charlatanisme plus éhonté, si lord Durham ne croyait pas à ce qu’il disait ? Si lord Durham était sincère, je le demande, fut-il jamais verbiage plus vide de sens, méconnaissance plus complète des principes les plus incontestés de l’économie politique et des résultats qu’a eus et que doit avoir la séparation des anciennes colonies anglaises de l’Amérique du Nord ?

On dit que cette idole de la populace et des grands de l’Angleterre est un homme d’état d’une valeur peu commune. Les feuilles qu’il soudoie affirment que lui seul est capable de préserver l’Angleterre des sanglantes catastrophes dont elle est menacée. À les entendre, il ne lui faudrait que le pouvoir pour accomplir ce merveilleux tour de force de constituer solidement en Angleterre (et cela du consentement de l’oligarchie la plus altière et la plus forte qui ait jamais pesé sur le monde) la démocratie pure par des parlements triennaux, le suffrage quasi universel, et le vote par ballot , et d’établir en même temps le despotisme pur dans toutes les colonies anglaises de l’Amérique du Nord (et cela du consentement des colonies chez qui l’on chercherait en vain d’autres éléments sociaux que les principes de l’égalité, d’autres influences actives que celles de l’exemple et du voisinage des États-Unis d’Amérique).

Où donc cet homme a-t-il mérité d’occuper la première place ? dans les conseils de l’État ou à Bedlam ?

L’histoire détaillée de la mission de lord Durham révélerait un excès à peine croyable de vanité personnelle. Son entourage se composait exclusivement d’hommes pleins de vices et de perversité, mais qui ne lui épargnaient pas la flatterie. Quant aux hommes honnêtes qui, sur la foi des éloges parlementaires, ont voulu l’aborder, l’entretenir d’autres choses que de lui-même, et faire descendre son esprit des hauteurs enivrantes où il se complaisait, sur une terre de larmes et de douleurs, ces hommes ont été indécemment repoussés. Tibère s’était livré aux Séjans.

Même avant son départ de Londres, les vomitoires des prisons étaient l’égout où le noble lord était allé prendre par la main, pour les élever à son niveau, les faire asseoir à sa table, les installer auprès de sa femme et de ses filles, les initier à ses conseils intimes, deux hommes flétris tous