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nation de la farouche puissance qui les ordonna, l’ont, au contraire, rendue à jamais impossible. Elles ont soulevé l’horreur du monde civilisé.

Aux États-Unis surtout, l’impression a été profonde ; qu’on en juge par l’extrait suivant de la Revue démocratique, journal mensuel, publié à Washington, sous la direction et avec le concours des hommes publics les plus influents de l’Union. Cet arrêt de proscription, fulminé au vu et su du congrès, dans les premiers jours de mars dernier, contre la domination anglaise en Amérique, a, pour qui en connaît la source, la plus grande portée.

« C’est en vain que le gouvernement anglais cherche à justifier les exécutions récentes qui ont ensanglanté les Canadas, par cette raison que des lois les autorisaient. Les lois de l’Angleterre, ses rois les ont souillées par une pénalité atroce décrétée contre toute espèce d’offense. Comme celles de Dracon, elles sont écrites avec du sang. La peine de mort s’y applique à un si grand nombre de délits, et si injustement, que, pour rendre bonne justice, le juge est souvent obligé de torturer le sens de la loi, de la faire taire ou même de la violer ouvertement.

» La loi de haute trahison, prétexte de tant de meurtres juridiques, et qui date du règne d’Edouard III, prononce la peine de mort contre les attentats à la vie du roi. Et, c’est en vertu de cette loi, vieille de plusieurs siècles, que l’on punit de mort un crime, véritablement imaginaire, puisqu’il ne peut être commis en Amérique. Oui, l’esprit d’assassinat s’est incarné dans l’esprit de la monarchie anglaise !

» Mais ce n’est pas au peuple anglais que nous reprochons ces crimes monstrueux : son influence, quand elle a pu se faire sentir et pénétrer dans la législation britannique, a été, comme celle du peuple de tout pays, humaine, éclairée, protectrice. L’influence de la monarchie fut au contraire invariablement funeste. En qui pourrait énumérer ces nombreux holocaustes des plus illustres et des meilleurs fils de la Grande-Bretagne, consommés pour honorer et apaiser son dieu Moloch, sa monarchie !

» Quelle noble armée de martyrs, bientôt rendus au culte dont ils sont dignes, ne composera pas la longue liste de ses héros, depuis les Cobhams, et les Balls, de l’époque de ces vieilles chroniques, jusqu’aux Russell et aux Sydney, des temps de ces modernes annales, jusqu’aux Emmet et aux Lount, des jours déplorables de son histoire contemporaine ! Hommes sublimes, dont la réputation croissante brillera bientôt de l’éclat le plus pur, puisque la colère et le dégoût soulèvent enfin cette libre et puissante opinion publique qui va effacer le système qui les immola ! L’ineffable sentiment d’horreur et d’indignation qu’ont fait naître ces cruautés dans toute l’étendue en largeur et en longueur de cette terre de liberté où l’opinion publique est franche et saine à ce point qu’elle semble parler le langage de la postérité, révèle déjà quels pieux éloges éterniseront la gloire de ces grandes victimes et l’infamie de leurs bourreaux ! Qu’ils égorgent donc encore pendant quelques jours ! Jamais, non jamais, ne s’effaceront chez les hommes éclairés la haine et le dégoût que leur ont inspirés contre le gouvernement anglais les meurtres juridiques qu’il demande contre les infortunés Canadiens ; jamais ne s’apaisera l’aversion qu’elle inspire, cette puissance haïssable, aussi étrangère aux mœurs, aux intérêts, aux sympathies, comme elle l’est à la terre des hommes libres, tant qu’elle n’aura pas été rejetée de toute l’étendue, vaste comme elle est, de l’Amérique septentrionale que sa politique détestable et féroce a polluée ! »