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y réussit étonnamment bien et répara en grande partie, de 75 à 83, les désastres de 59 à 63.

Des mille à douze cents anglais qu’il y avait dans tout le Canada, les neuf-dixième de ceux qui étaient à Québec eurent le bon sens de sortir de la ville à la veille du siège et d’aller chercher des effets en Angleterre, certains qu’ils les revendraient à d’énormes bénéfices. La plupart, et avec parfaite raison, disaient hautement que la métropole faisait une guerre impie à ses enfants, qu’ils avaient pour eux l’étendue des forêts de leur pays, où les armées seraient cernées, affamées et capturées, et que le bon droit et la bonne cause finiraient par prévaloir : prophéties heureusement accomplies.

Bien vite après la lutte, les progrès merveilleusement rapides des États-Unis les rendaient l’objet de l’étonnement et de la bienveillance de tous les grands écrivains du continent européen.

Plus tard, quand on commença au Canada à apprendre l’anglais, on se passionna justement pour les sublimes discours des Fox et des Burke en faveur de la juste cause américaine.

Ceux de ce pays qui s’étaient le mieux battus pour l’Angleterre durent commencer alors à douter qu’ils eussent bien fait de se battre pour une caste, et contre un peuple.

Lorsque je leur disais : « Quand bien même les Anglais auraient mieux fait depuis 1774, alors ils ne vous étaient connus que pour les injustices et les insultes déversées sur vous par torrents. Les Anglais coloniaux vous expliquaient les torts de la métropole et restaient les bras croisés. Pourquoi ne fîtes-vous pas de même ? » – l’on m’a répondu : « Les anciens parmi nous avaient pris part aux combats de la Monongahela (invariablement dite la Malengueulée), de Chouaguen (Oswego), de Carillon, de Québec, et à bien d’autres encore ».

Reprendre les armes les reportait aux beaux jours de leur jeunesse. Ils avaient joui de la plénitude de la vie d’aventures, de voyage, du camp. Elle avait été suivie de quinze ans d’engourdissement léthargique. Le plus proche et le premier prêt à les enrôler était sûr de les avoir.

Se battre, c’était la vie du gentilhomme : – tout est là.

Pour les jeunes gens des collèges, le roi était tout. Il n’y avait encore que des précepteurs et des préceptes théologiques et philosophiques français. Ceux-ci adoraient George III, avec plus de raison qu’ils n’en avaient eue, quand, prenant leur bonnet de docteur en France, ils avaient eu la naïveté de croire à des fictions telles que les vertus de Louis XV et de la sainte ampoule, apportée du ciel, huile et fiole, pour assurer la perpétuité de la monarchie. Une souveraineté divisée avec quelque autre autorité que celle du roi, était pour eux une monstruosité. C’était cette souveraineté nouvelle et impie, qui mettait tout à feu et à sang chez nos infortunés voisins.

« Comme le roi d’Angleterre est bon, ajoutaient-ils ! Il vient de rétablir le paiement des dîmes. Battez-vous pour lui, nobles collégiens. En le faisant vous êtes sûrs de ne pas pécher. En ne le faisant pas, nous sommes sûrs que vous pécheriez. »

Il n’y avait d’écoles pour hommes que dans les villes, qui ne formaient pas un sixième de la population. Les familles aisées demeurant dans leurs seigneuries, envoyaient leurs enfants s’instruire à Québec. Les seigneurs et les curés y envoyaient, en partie à leurs frais, des fils de cultivateurs de talents marquants. Ils usaient de leur influence pour solliciter les cultivateurs à l’aise d’y envoyer aussi leurs enfants.

C’est ainsi que dans un examen de fin d’année au Séminaire de Québec, le jeune Nadeau, orphelin infortuné du meunier tué par ordre, comme je l’ai dit, répondant avec un beau succès, le gouverneur Carleton, présent, demande quel est le nom de ce jeune homme. Il l’apprend. Il rougit, il pâlit, puis cède à son émotion, et avec des larmes dans la voix s’écrie : « Pauvre enfant, puisque c’est un gouverneur anglais qui vous a ravi votre père, il n’est que juste qu’un autre gouverneur anglais vous en tienne lieu. Continuez à vous appliquer, venez me voir, je me charge de votre éducation. »

Ce beau trait d’honnête sensibilité, cet aveu public en expiation d’un grand crime commis par un de ses prédécesseurs, dut faire plus et mieux que les arguties sophistiques des précepteurs, pour gagner les cœurs, la volonté, les services des volontaires collégiens.

L’oligarchie qui remplissait le nouveau conseil nourrissait les mêmes convoitises, le même fanatisme religieux, la même soif du pouvoir exclusif, qu’elle avait nourris durant les administrations précédentes.

La lutte et les reproches entre le gou-