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batu en mon esprit l’espace de plusieurs iours, pour admirer et contempler, qui pouuoit estre le moyen et cause de cela. Et quelque iour ainsi que i’estois és Isles de Xaintonge, en allant de Marepnes à la Rochelle, i’ay apperceu vn fossé creusé de nouueau, duquel on auoit tiré plus de cent charetées de pierres, lesquelles en quelque lieu ou endroit qu’on les sçeust casser, elles se trouuoient pleines de coquilles, ie dis si pres à pres, qu’on n’eust sçeu mettre vn clos de cousteau entre elles sans les toucher : et deslors ie commençay à baisser la teste, le long de mon chemin, à fin de ne voir rien qui m’empeschast d’imaginer qui pourroit estre la cause de cela : et estant en ce trauail d’esprit, ie pensay deslors, chose que ie crois encore à present, et m’asseure qui est veritable, que pres dudit fossé il y a eu d’autres fois quelque habitation, et ceux qui pour lors y habitoient, apres qu’ils auoient mangé le poisson qui estoit dedans la coquille, ils iettoyent lesdites coquilles dedans cette vallée, où estoit ledit fossé, et par succession de temps, lesdites coquilles s’estoient dissoutes en la terre, et aussi la terre de ce bourbier s’estoit mondifiee, et les saletez pourries, et reduites en terre fine, comme terre argileuse : et ainsi que lesdites coquilles se venoient à dissoudre et liquefier, et la substance et vertu du sel desdites coquilles faisoient attraction de la terre prochaine, et la reduisoyent en pierre avec soy, toutesfois, parce que lesdites coquilles tenoient plus de sel en soy, qu’elles n’en donnoient à la terre, elles se congeloient d’vne congelation beaucoup plus dure, que non pas la terre : mais l’vn et l’autre se reduisoyent en pierre, sans que lesdites coquilles perdissent leur forme[1]. Voila la cause, qui depuis ce temps là, me fit imaginer, et repaistre mon esprit de plusieurs secrets de nature, desquels ie t’en monstreray aucuns. Item, vne autre fois je me pourmenois le long des rochers de cette ville de Xaintes, et en contemplant les natures, i’apperceu en vn rocher certaines pierres, qui estoyent faites en façon d’vne corne de mouton[2], non pas si

  1. Cette première opinion de Palissy sur l’origine des coquilles pétrifiées est celle qu’adopta Voltaire, mais Palissy ne pouvait rester long-temps dans une pareille erreur ; aussi, en observateur habile, ne tarda-t-il point à en revenir et à reconnaître la véritable théorie de cette formation, comme on le verra plus loin au Traité des pierres.
  2. C’est ce que l’on connaît aujourd’hui sous le nom d’ammonites, ou cornes d’Ammon.