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sçauoir que les eaux qui passent par les fumiers, emportent tout le sel et rendent le fumier inutile, qui est vne ignorance de tres-grand poids. Et si elle estoit corrigee, on ne sçauroit estimer combien le profit seroit grand. À la mienne volonté, qu’vn chacun qui verra ce secret, soit aussi soigneux à le garder, comme de soy il le merite.

Demande.

Dy moy, comment donc pourrois-ie garder de gaster mon fumier ?

Responce.

Si tu veux que ton fumier te serue à plein et à outrance, il faut que tu creuses vne fosse en quelque lieu conuenable, pres de tes estables, et icelle fosse creusee en maniere d’vn claune, ou d’vn abruuoir, faut que tu paues de caillous, ou de pierres, ou de briques ledit claune ou fosse, et iceluy bien paué auec du mortier de chaux et de sable, tu porteras tes fumiers pour garder en ladite fosse, iusques au temps qu’il le faudra porter aux champs. Et afin que ledit fumier ne soit gasté par les pluyes, ni par le soleil, tu feras quelque maniere de loge pour couurir ledit fumier : et quand il viendra au temps des semailles, tu porteras ledit fumier dans le champ, auec toute sa substance, et tu trouueras que le paué de la fosse, ou receptacle, aura gardé toute la liqueur du fumier, qui autrement se fust perdue, la terre eust sucé partie de la substance dudit fumier : et te faut icy noter, que si au fons de la fosse, ou réceptacle dudit fumier, se trouue quelque matiere claire, qui sera descendue des fumiers, et que ladite matière ne se puisse porter dans des paniers, il faut que tu prenes des basses[1], qui puissent tenir l’eau, comme si tu voulois porter de la vendange, et lors tu porteras ladite matiere claire, soit vrine des bestes, ou ce que voudras. Ie t’asseure que c’est le meilleur du fumier, voire le plus salé[2] : et si tu le fais ainsi, tu rapporteras à la terre la mesme chose qui luy auoit esté ostee par les accroissemens des semences, et les

  1. Sorte de bane, ou bassin de bois.
  2. Cette pratique excellente a été préconisée récemment comme une invention toute nouvelle, et a fait un certain honneur à l’agronome qui l’a propagée. Il est vraiment inconcevable qu’énoncée en termes si clairs et si formels par B. Palissy, elle soit restée ignorée pendant trois siècles, ou du moins qu’elle n’ait pas été adoptée plus tôt par tous les agriculteurs intelligents.