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DE LA MARNE.

nie. Ie prendray autre argument plus certain : puis qu’aux Isles de Marennes, et en la Foye-Moniaut, se cueille du vin ayant douceur et bonté d’hippocras, et que sa bonté procede d’vne vertu salsitiue que nous appellons tartare, et qu’és pays de Narbonne et Xaintonge, il se fait du sel commun, et combien que la vertu salsitiue de la terre lemnie ne soit pas de sel commun, si est ce que tout ainsi que comme en quelque partie de la France, les raisins et quelques autres fruits apportent en soy vue douceur autant grande que les dates, figues et autres fruits qui viennent des regions chaudes, i’ay conclud qu’en quelque endroit se pourroit aussi trouuer de la terre lemnie, laquelle feroit la mesme action que celle que on prend en Turquie, de laquelle nous auons parlé. Ie te diray encores vne exemple, tu vois que les anciens ont eu en grand estime le bol d’Armenie, à cause de son action astringente ; et toutesfois depuis que l’vsage en est en France, celuy mesme qui se prend au pays, et combien qu’il se trouue en plusieurs contrées de la France, si est ce qu’on luy baille le mesme nom de celuy d’Armenie, comme tu vois que les Latins l’appellent bolus armenus, en François boliarmeny. Nous en auons encore vne autre espece qui est plus desiccatif que le susdit, duquel les peintres font des crayons à pourtraire, qu’ils appellent pierres sanguines, elle est fort propre pour contrefaire les visages apres le naturel : elle est composée d’vn grain fort subtil. Il y a autre espece de sanguine, qui est fort dure ; à cause de sa dureté, on la peut tailler et pollir comme vne pierre de iaspe ou d’agathe, combien qu’elle ne soit pas si dure : aucuns on fait tailler desdites pierres pour se seruir à brunir ou pollir l’or et autres choses. Si tu consideres bien ladite pierre tu connoistras qu’il n’y a difference aucune des deux especes de sanguine, sinon que l’vne est petrifiée à cause qu’elle a plus receu d’eau congelatiue qui l’a rendue plus pesante et plus dure, et l’autre qui est demeurée tendre, de laquelle on fait des crayons rouges, est demeurée alterée par ce que l’eau luy deffaut au parauant sa parfaitte decoction. Et parce que le commencement de nostre propos a esté seulement de parler de la marne, ie te dis à present qu’en plusieurs lieux la marne peut seruir à faire des crayons blancs à pourtraire en blanc, tout ainsi que la sanguine pourtrait des traits rouges.