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DE L’ART DE TERRE.

contraint d’employer les choses necessaires à ma nourriture, pour eriger les commoditez requises à mon art. Et qui pis est, le motif desdites mocqueries et persecutions sortoit de ceux de ma maison, lesquels estoyent si esloingnez de raison, qu’ils vouloyent que ie fisse la besongne sans outis, chose plus que déraisonnable. Or d’autant plus que la chose estoit déraisonnable, de tant plus l’affliction m’estoit extreme. I’ay esté plusieurs années que n’ayant rien dequoy faire couurir mes fourneaux, i’estois toutes les nuits à la mercy des pluyes et vents, sans auoir aucun secours aide ny consolation, sinon des chatshuants qui chantoyent d’vn costé et les chiens qui hurloyent de l’autre ; parfois il se leuoit des vents et tempestes qui souffloyent de telle sorte le dessus et le dessouz de mes fourneaux, que i’estois contraint quitter là tout, auec perte de mon labeur ; et me suis trouué plusieurs fois qu’ayant tout quitté, n’ayant rien de sec sur moy, à cause des pluyes qui estoyent tombées, ie m’en allois coucher à la minuit où au point du iour, accoustré de telle sorte comme vn homme que l’on auroit trainé partous les bourbiers de la ville ; et en m’en allant ainsi retirer, i’allois bricollant sans chandelle, et tombant d’vn costé et d’autre, comme vn homme qui seroit yure de vin, rempli de grandes tristesses : d’autant qu’apres auoir longuement trauaillé ie voyois mon labeur perdu. Or en me retirant ainsi soüillé et trempé, ie trouuois en ma chambre vne seconde persecution pire que la premiere, qui me fait à présent esmerueiller que ie ne suis consumé de tristesse[1].

Theorique.

Pourquoy me cherches tu vne si longue chanson ? c’est plutost pour me destourner de mon intention, que non pas pour m’en approcher ; tu m’as bien fait cy dessus de beaux discours touchant les fautes qui suruiennent en l’art de terre, mais cela ne me sert que d’espouuantement : car des esmaux tu ne m’en as encores rien dit.

Practique.

Les esmaux dequoy ie fais ma besongne, sont faits d’es-

  1. Ce récit est non-seulement plein d’intérêt, de grandeur, d’éloquence naïve, mais, sous le rapport du style, on peut le regarder comme un des morceaux les plus précieux qui nous soient restés de langue française au seizième siècle. Il brille d’ailleurs par plus d’un genre de mérite, comme nous avons essayé de le montrer dans l’essai historique placé en tête de ce volume.