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DE L’ART DE TERRE.

dix ans si fort escoulé en ma personne, qu’il n’y auoit aucune forme n’y apparence de bosse aux bras ny aux iambes : ains estoyent mesdites iambes toutes d’vne venue : de sorte que les liens de quoy i’attachois mes bas de chausses estoyent, soudain que ie cheminois, sur les talons auec le residu de mes chausses. Ie m’allois souuent pourmener dans la prairie de Xaintes, en considerant mes miseres et ennuys : Et sur toutes choses de ce qu’en ma maison mesme ie ne pouuois auoir nulle patience, n’y faire rien qui fut trouué bon. I’estois mesprisé, et mocqué de tous : toutefois ie faisois tousiours quelques vaisseaux de couleurs diuerses, qui me nourrissoient tellement quellement : Mais en ce faisant, la diuersité des terres desquelles ie cuidois m’auancer, me porta plus de dommage en peu temps que tous les accidents du parauant. Car ayant fait plusieurs vaisseaux de diuerses terres, les vnes estoyent bruslées deuant que les autres fussent cuittes : aucunes receuoyent l’esmail et se trouuoyent fort aptes pour cest affaire : les autres me deceuoyent en toutes mes entreprinses. Or par ce que mes esmaux ne venoyent bien en vne mesme chose, i’estois deceu par plusieurs fois : dont ie receuois tousiours ennuis et tristesse. Toutesfois l’esperance que i’auois, me faisoit proceder en mon affaire si virilement que plusieurs fois pour entretenir les personnes qui me venoyent voir ie faisois mes efforts de rire, combien que interieurement ie fusse bien triste.

Ie poursuyuiz mon affaire de telle sorte que ie receuois beaucoup d’argent d’vne partie de ma besongne, qui se trouuoit bien : mais il me suruint vne autre affliction conquatenée auec les susdites, qui est que la chaleur, la gelée, les vents, pluyes et gouttieres, me gastoyent la plus grande part de mon œuure, au parauant qu’elle fut cuitte : tellement qu’il me fallut emprunter charpenterie, lattes, tuilles et cloux, pour m’accommoder. Or bien souuent n’ayant point dequoy bastir, i’estois contraint m’accommoder de liarres (lierres) et autres verdures. Or ainsi que ma puissance s’augmentoit, ie defaisois ce que i’auois fait, et le batissois vn peu mieux ; qui faisoit qu’aucuns artisans, comme chaussetiers, cordonniers, sergens et notaires, vn tas de vieilles, tous ceux cy sans auoir esgard que mon art ne se pouuoit exercer sans grand logis, disoyent que ie ne faisois que faire et desfaire, et me blasmoyent de ce qui les deuoit inciter à pitié, attendu que i’estois