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DE L’ART DE TERRE.

Touchant des autres couleurs ie ne m’en mettois aucunement en peine ; ce peu d’apparence que ie trouuay lors, me fit trauailler pour chercher ledit blanc deux ans outre le temps susdit, durant lesquels deux ans ie ne faisois qu’aller et venir aux verreries prochaines, tendant aux fins de paruenir à mon intention. Dieu voulut qu’ainsi que ie commençois à perdre courage, et que pour le dernier coup ie m’estois transporté à vne verrerie, ayant auec moy vn homme chargé de plus de trois cents sortes d’espreuues, il se trouua vne desdites espreuues qui fut fondue dedans quatre heures après auoir esté mise au fourneau, laquelle espreuue se trouua blanche et polie de sorte qu’elle me causa vne ioye telle que ie pensois estre deuenu nouuelle creature : Et pensois deslors auoir vne perfection entiere de l’esmail blanc : Mais ie fus fort esloingné de ma pensée : ceste espreuue estoit fort heureuse d’vne part, mais bien mal-heureuse de l’autre, heureuse en ce qu’elle me donna entrée à ce que ie suis paruenu, et mal-heureuse en ce qu’elle n’estoit mise en doze ou mesure requise ; ie fus si grand beste en ces iours là, que soudain que i’eus fait ledit blanc qui estoit singulierement beau, ie me mis à faire des vaisseaux de terre, combien que iamais ie n’eusse conneu terre, et ayant employé l’espace de sept ou huit mois à faire lesdits vaisseaux, ie me prins à eriger vn fourneau semblable à ceux des verriers, lequel ie bastis auec vn labeur indicible : car il falloit que ie maçonnasse tout seul, que ie destrempasse mon mortier, que ie tirasse l’eau pour la destrempe d’iceluy, aussi me failloit moy mesme aller querir la brique sur mon dos, à cause que ie n’auois nul moyen d’entretenir vn seul homme pour m’ayder en cest affaire. Ie fis cuire mes vaisseaux en premiere cuisson : mais quand ce fut à la seconde cuisson, ie receus des tristesses et labeurs tels que nul homme ne voudroit croire. Car en lieu de me reposer de mes labeurs passez, il me fallut trauailler l’espace de plus d’vn mois, nuit et iour, pour broyer les matieres desquelles i’auois fait ce beau blanc au fourneau des verriers ; et quand i’eus broyé lesdites matieres i’encouuray les vaisseaux que i’auois faits : ce fait, ie mis le feu dans mon fourneau par deux gueules, ainsi que i’auois veu faire ausdits verriers, ie mis aussi mes vaisseaux dans ledit fourneau pour cuider faire fondre les esmaux que i’auois mis dessus : mais c’estoit vne chose mal-heureuse pour