Page:Palissy - Oeuvres complètes (P. A. Cap, 1844).djvu/360

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
312
DE L’ART DE TERRE.

terre, et apres les auoir mis en pieces, ie mettois des matieres que i’auois broyées dessus icelles, et les ayant marquées, ie mettois en escrit à part les drogues que i’auois mis sus chacunes d’icelles, pour memoire ; puis ayant faict vn fourneau à ma fantasie, ie mettois cuire lesdites pieces pour voir si mes drogues pourroyent faire quelques couleurs de blanc : car ie ne cherchois autre esmail que le blanc : parce que i’auois ouy dire que le blanc estoit le fondement de tous les autres esmaux. Or par ce que ie n’auois iamais veu cuire terre, ny ne sçauois a quel degré de feu ledit esmail se deuoit fondre, il m’estoit impossible de pouuoir rien faire par ce moyen, ores que mes drogues eussent esté bonnes, par ce qu’aucune fois la chose auoit trop chaufé et autrefois trop peu, et quand lesdites matieres estoyent trop peu cuites ou bruslées, ie ne pouuois rien iuger de la cause pourquoy ie ne faisois rien de bon, mais en donnois le blasme aux matieres, combien que quelque fois la chose se fust peut estre trouué bonne, ou pour le moins i’eusse trouué quelque indice pour paruenir à mon intention, si i’eusse peu faire le feu selon que les matieres les requeroyent : Mais encores en ce faisant ie commettois vne faute plus lourde que la susdite : car en mettant les pieces de mes espreuues dedans le fourneau, ie les arrangeois sans consideration ; de sorte que les matieres eussent esté les meilleures du monde et le feu le mieux à propos, il etoit impossible de rien faire de bon. Or m’estant ainsi abuzé plusieurs fois, auec grand frais et labeurs, i’estois tous les iours à piler et broyer nouuelles matieres et construire nouueaux fourneaux, auec grande despence d’argent et consommation de bois et de temps.

Quand i’eus bastelé plusieurs années ainsi imprudemment, auec tristesse et soupirs, à cause que ie ne pouuois paruenir a rien de mon intention, et me souuenant de la despense perdue, ie m’auisay pour obuier à si grande despence d’enuoyer les drogues que ie voulois approuuer à quelque fourneau de potier ; et ayant conclud en mon esprit telle chose, i’achetay de rechef plusieurs vaisseaux de terre, et les ayant rompus en pieces, comme de coustume, i’en couvray trois ou quatre cent pieces d’esmail, et les enuoyay en vne poterie distante d’vne lieue et demie de ma demeurance, auec requeste enuers les potiers qu’il leur pleust permettre cuire lesdittes es-