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DE L’ART DE TERRE.

rauant que de paruenir à mon dessein. Ie cuide que quand tu auras bien entendu le tout, il te prendra bien peu d’enuie de te ietter audit art, et m’asseure que d’autant que tu es à présent désireux de t’en approcher, d’autant tascheras tu à t’en esloigner : par ce que tu verras que l’on ne peut poursuyure, ny mettre en execution aucune chose, pour la rendre en beauté et perfection, que ce ne soit auec grand et extreme labeur, lequel n’est iamais seul, ains est tousiours accompagné d’un millier d’angoisses.

Theorique.

Ie suis homme naturel comme toy, et puisque les choses t’ont esté possibles sans auoir eu aucun enseigneur, il me sera beaucoup plus aisé quand i’auray obtenu de toy vn entiers discours de toute la maniere de faire, et les moyens par lesquels tu y es paruenu.

Practique.

Suyuant ta requeste, sçaches qu’il y a vingt et cinq ans passez qu’il ne me fut monstré vne coupe de terre, tournée et esmaillee d’vne telle beauté[1], que deslors i’entray en dispute auec ma propre pensée, en me rememorant plusieurs propos, qu’aucuns m’auoient tenus en se mocquant de moy, lors que ie peindois les images. Or voyant que l’on commençoit à les delaisser au pays de mon habitation, aussi que la vitrerie n’auoit pas grande requeste, ie vay penser que si i’auois trouué l’inuention de faire des esmaux ie pourrois faire des vaisseaux de terre et autre chose de belle ordonnance, parce que Dieu m’auoit donné d’entendre quelque chose de la pourtraiture ; et deslors, sans auoir esgard que ie n’auois nulle connoissance des terres argileuses, ie me mis à chercher les esmaux, comme vn homme qui taste en tenebres. Sans auoir entendu de quelles matieres se faisoyent lesdits esmaux, ie pilois en ces iours là de toutes les matieres que ie pouuois penser qui pourroyent faire quelque chose, et les ayant pilées et broyées, i’achetois vne quantité de pots de

  1. On peut supposer, quoique rien ne le constate, que cette coupe émaillée était d’origine italienne ; soit qu’elle fût le produit des manufactures de Faenza (d’où le mot faïence), soit qu’elle remontât à une plus haute antiquité : car on sait que, dès le temps de Porsenna, on connaissait, en Étrurie, l’art de couvrir d’émail les vases de terre. Mais cet art était alors complètement ignoré en France, et ce fut Palissy qui l’y créa.