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DES TERRES D’ARGILE.

que cela te soit argument de te faire croire qu’en la grandeur d’vn Royaume il y en peut auoir vn grand nombre de bien differentes. Ie n’ay pas conneu la difference des terres, et leurs diuers effets sans grands frais et labeurs. I’auois quelques fois recouuert (découvert) de la terre du Poitou, et auois trauaillé d’icelle bien l’espace de six mois au parauant que d’auoir ma fournée complete : parce que les vaisseaux que i’auois faits estoyent fort elabourez, et d’assez haut prix. Or en faisant lesdits vaisseaux de la terre de Poitou, i’en fis quelques vns de la terre de Xaintonge, de laquelle i’auois besongné plusieurs années auparauant, et estois assez experimenté au degré du feu qu’il falloit à ladite terre ; et pensant que toutes terres se pensent cuire à vn mesme degré, ie fis cuire ma besongne qui estoit de terre de Poitou parmy celle de terre de Xaintonge, qui me causa vne grande perte : d’autant que la besongne de terre de Xaintonge estant assez cuitte, ie pensois que l’autre le seroit aussi ; mais lors que ie vins à esmailler mes vaisseaux, iceux sentant l’humidité, ce fut vne risée mal plaisante pour moy : parce qu’autant de pieces que l’on esmailloit vindrent à se dissoudre et tomber par pieces, comme feroit vne pierre de chaux trempée dedans l’eau, et toutesfois les vaisseaux de la terre de Xaintonge estoient cuits dans le mesme four, et d’vn mesme degré de chaleur, et en mesme heure que les susdits, et se portoient fort bien. Voila comment vn homme qui besongne de l’art de terre, est tousjours apprentif à cause des natures inconnuës és diuersitez des terres. Il y a des terres argileuses que combien que elles ayent receu vne cuisson raisonnable, et autant de feu qu’il leur en faut, si est-ce que si les vaisseaux de telle terre sont moullez, et que l’on les presente deuant le feu, ils se casseront comme s’ils n’estoient pas cuits : ce qui n’aduient point aux autres terres. Il y en a de certaines especes qui sont si visqueuses et si tresfines, qu’elles se laisseront allonger comme vne corde. I’ay veu des femmes besongner d’vne telle terre, qui pour faire des anses de pots, prenoient vne poignée d’icelle, et la tenant par vn bout d’vne main, de l’autre main elles l’allongeoient autant longue qu’elles pouuoient leuer les bras en haut : et quand cela estoit fait elles laissoyent aller vn bout pendant vers le bas sans que ladite terre se rompist, et puis elles les mettoient par monceaux, pour faire leursdites anses. Cela ne se peut