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DES TERRES D’ARGILE.

ensemble : car le feu (comme le plus fort) trouuant l’humide enclos dedans les parties de la terre, il le veut chasser violemment, comme son ennemy, et l’humide estant pressé de trop pres veut fuir en diligence : mais d’autant que le feu ne luy donne pas le loisir de trouuer les petites portes par où il estoit entré, il est contraint de s’enfuir, et en s’enfuyant il fait creuer et casser les pierres où il est enclos. I’ay veu autrefois que aucuns tailleurs d’images, instruits en l’art de terre par ouyr dire seulement, et assez nouueaux en la connoissance des terres, qu’apres auoir fait quelques images ils les venoyent mettre dedans les fourneaux, pour les cuire, selon qu’ils l’entendoyent ; Mais quand ils commençoyent à mettre le grand feu, c’estoit une chose assez plaisante (combien qu’il n’y eut pas à rire pour tous) d’entendre ces images peter et faire vne baterie entr’eux, comme vn grand nombre d’harquebusades et coups de canon, et le pauure maistre bien fasché, comme vn homme à qui on rauiroit son bien : car le iour venu pour desenfourner les images, le four n’estoit pas si tost descouuert qu’il aperceuoit les vns la teste fenduë les autres les bras rompus et les iambes cassées, tellement que le pauure homme ayant tiré ses images estoit bien empesché et auoit bien de la peine à chercher les pieces : car les vnes estoyent aussi petites que mouches, et ne les pouuant rassembler estoit contraint bien souuent faire des nez de drapeau ou autre matiere à sesdites images. Les hommes experimentez en l’art de terre ne besongnent pas ainsi inconsiderement, ains premierement, ils taschent de connoistre le naturel de la terre, et apres l’auoir connue, ils considerent l’espaisseur de la besongne qu’ils veulent faire cuire, ayant connoissance que la plus espaisse est la plus dangereuse à se creuer au feu : Aussi ils se donnent bien garde de la cuire qu’elle ne soit bien seche. Et quand elle est dedans le four, ils baillent le petit feu plus longuement à la besongne espaisse, que non pas à la tenue : et en donnant le feu petit à petit ils donnent loisir à l’humide de sortir à son aise et sans violence : Et quand le maistre connoist que l’humide a quitté sa place, il donne congé au feu d’entrer auec telle violence que bon luy semblera, et lors il se vient esgayer et entrer auec toute liberté, mesme iusques à l’interieur de toutes les parties closes et fermées au dedans des pieces d’ouurages,