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DV SEL COMMVN.

faites en maniere d’vn pont, lesquelles ne se peuuent faire qu’auec grands despens, à cause de la grandeur du bois : car il faut que les montans viennent du fond et concauité du canal bien profond, et les pieces trauersantes seruent de passer hommes et cheuaux : ils nomment lesdits ponts l’vn la varengne et l’autre le gros mas : par ce qu’il sert aussi à retenir les eaux du iard : Outre lesdits ponts, en chacun marez il y a plusieurs pieces de bois qui sont percées tout du long, pour faire passer les eaux, de degré en degré. En chascun champ de marez, il faut bien vne piece de bois autant longue que le pied d’vn grand arbre, laquelle est percée tout du long, qu’ils appellent l’Amezau, et faut que ledit pied d’arbre soit bien gros, et les autres pieces qui sont moindres sont percées selon leur grosseur. Ie te di ceci afin que tu entendes que les bois des marez estans pourris ou bruslez, les forests de la Guyenne ne sçauroyent suffire pour les refaire. Et n’y a homme ayant veu le labeur de tous les marez de Xaintonge, qui ne iugeast qu’il a fallu plus de despence pour les edifier, qu’il ne faudroit pour faire vne seconde ville de Paris[1].

Theorique.

Voire, mais ceux qui se sont meslez d’escrire par cy deuant, disent que le sel prouient de l’escume de la mer, et mesme vn autheur (qui a escrit, depuis que le sel est si cher, vn petit liure, de l’excellence, dignité et vtilité du sel) l’a ainsi dit, et semblablement a dit que nous serions bien heureux si nous auions vne fontaine d’eau salée en France, comme ils ont en la Lorraine et autres pays.

Practique.

Tu peux bien auoir entendu par mon discours, le contraire de leur dire, il n’est pas besoing que i’en repete quelque chose. Et quant à l’aucteur que tu m’as allegué, il n’entend pas bien ce qu’il a mis en son liure, et plusieurs le croyans se pourront abuser : Car quant il y auroit cent fontaines d’eau salee en France, elles ne sçauroyent suffire à la moitié du Royaume. Et qui plus est, quand il y en auroit mille, elles

  1. Cette description des marais salants de Saintonge et des procédés usités à cette époque pour l’extraction du sel est aussi claire qu’exacte et précise. Palissy avait eu l’occasion d’étudier cette matière, ayant été chargé de lever le plan des marais salants par suite de l’édit de François Ier, du mois de mai 1513, qui ordonnait d’y établir les droits de gabelle.