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DE L’OR POTABLE.

consommer ? attendu qu’il est desia si debile qu’il ne seauroil digerer vne pomme cuitte.

Theorique.

Et tu te moques bien de moy ; l’or n’est il pas desia consommé quand il est potable ? l’alchimiste qui l’a rendu potable l’a rendu aussi liquide que de l’eau claire.

Practique.

Tu t’abuses, et n’entens rien de tous mes propos, ou bien tu fais semblant de n’en vouloir rien entendre : Car quand tous les alchimistes auroyent mis l’or en potage plus subtil que la fine essence ou quinte distilation de vin, encores dirois ie qu’ils n’ont rien fait à ce qu’il puisse seruir de nourriture. Vray est que s’ils pouuoyent dissoudre l’or sans aucune addition, alors ie serois de leur party, moyennant aussi qu’il se peust dissoudre à vne chaleur du tout semblable à celle de l’estomac : Car autrement quel proufit pourroit faire vne matiere à l’estomac si la chaleur naturelle n’est capable de la dissoudre, comme elle fait les viandes qui luy sont donnees pour nourriture ? Mais quoy ! ils ne font qu’adulterer, calciner et pulueriser, et puis mettent autres liqueurs pour le faire boire. Ne sçay ie pas bien que toutes choses dures, seiches et alterees, estant puluerisees se peuuent boire auec autres liqueurs ? ce n’est pas à dire pourtant qu’elles puissent seruir de nourriture : tu pourras bien boire du sable et autres poussieres ; diras tu pourtant que cela te soit nourriture ? l’on sçait bien que non.

Theorique.

Ce n’est pas tout vn : car on prend l’or pour restaurant, comme le plus parfait de tous les alimens, et dit on qu’vn homme qui se nourriroit d’or seroit immortel, ainsi que l’or ne se peut consommer, et dure à iamais.

Practique.

Vrayement tu as bien dit à ce coup : car si vn homme se pouuoit nourrir d’or, ô que ce seroit vn bel idole ! Ie m’esmerueille que tu n’as honte de mettre vn tel propos en auant : d’autant que ce propos est suffisant pour vaincre toutes tes disputes. Tu dis que l’or est eternel selon le cours de ce siecle. Or s’il est eternel, l’estomac de l’homme n’aura donc garde de le consommer, puis que le temps, la terre, l’air ny le feu ne le peuuent consommer, par quel moyen sera il donc con-