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tagner de sçauoir armer et vestir son fruit d’vne industrie et merueilleuse robe : semblablement le noyer, allemandier, et plusieurs autres especes d’arbres fructiers, lesquelles choses me donnoyent occasion de tomber sur ma face, et adorer le viuant des vivans, qui a fait telles choses pour l’vtilité et seruice de l’homme : lors aussi cela me donnoit occasion de considerer nostre miserable ingratitude, et mauuaistié peruerse, et de tant plus i’entrois en contemplation en ces choses, d’autant plus i’estois affectionné de suiure l’art d’agriculture, et mespriser ces grandeurs et gains deshonnestes, lesquels à la fin, faut qu’ils soyent recompensez selon leurs merites ou demerites. Et estant en vn tel rauissement d’esprit, il me sembloit que i’estois proprement audit iardin, et que ie iouyssois de tous les plaisirs contenus en iceluy, et non seulement d’iceluy iardin, mais aussi des confrontations et lieux circonuoisins : car il me sembloit proprement, que ie sortois du iardin, pour m’aller pourmener à la pree, qui estoit du costé du Sus, et qu’y estant ie voyois iouër, gambader, et penader certains agneaux, moutons, brebis, cheures et cheureaux, en ruant et sautelant, en faisant plusieurs gestes et mines estranges, et mesmement me sembloit, que ie prenois grand plaisir à voir certaines brebis vieilles et morueuses, lesquelles sentens le temps nouueau, et ayans laissé leurs vieilles robbes, elles faisoyent mille sauts et gambades en ladite pree, qui estoit vne chose fort plaisante, et de grande recreation. Il me sembloit aussi, que ie voyois certains moutons, qui se reculoyent bien loin l’vn de l’autre, et puis courans d’vne vistesse et grande roideur, ils se venoyent frapper des cornes l’vn contre l’autre. Ie voyois aussi les cheures, qui se leuans des deux pieds de derriere, se frappoyent des cornes d’vne grande violence : aussi ie voyois les petits poulains, et les petits veaux, qui se iouoyent et penadoyent auprès de leurs meres. Toutes ces choses me donnoyent vn si grand plaisir, que ie disois en moy-mesme, que les hommes estoyent bien fols, d’ainsi mespriser les lieux champestres, et l’art d’agriculture, lequel nos peres anciens, gens de bien, et Prophetes ont bien voulu eux-mesmes exercer, et mesme garder les troupeaux. Il me sembloit aussi, que pour me recreer, ie me pourmenois le long des aubarees, et en me pourmenant sous la couuerture d’icelles, i’entendois vn peu murmurer les eaux