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2o Dans le cas où la totalité du groupe doit se mettre en mouvement pour chaque fin sociale, des tiraillements intérieurs ne peuvent manquer de se produire. Cet état d’anarchie trouve son expression typique dans les sociétés où le veto d’un seul opposant empêche la validité d’une mesure adoptée par la majorité. Ces tiraillements disparaissent ou sont fortement atténués par la création d’organes spéciaux qui présentent des garanties particulières de compétence et d’aptitude à la tâche organisatrice.

3o Enfin un troisième avantage de cette organisation consiste dans la meilleure direction qu’elle donne aux forces collectives. Une foule, dans ses manières d’agir, ne peut jamais s’élever au-dessus d’un niveau intellectuel assez bas. Les meilleurs conseillers ne seront peut-être pas toujours ceux qui se feront écouter d’elles. Tandis qu’auprès d’une minorité où il y a beaucoup de compétences, le talent peut plus facilement se donner carrière et conquérir l’autorité qui lui revient.

Ce dernier point ne va pas, à notre avis, sans quelques réserves. M. Simmel reconnaît que « dans un corps de fonctionnaires, la jalousie enlève souvent au talent l’influence qui devrait lui revenir, tandis qu’une foule, renonçant à tout jugement personnel, suivra aisément un meneur de génie[1] ».

On doit remarquer en outre que la différenciation des organes sociaux ne va pas sans certains inconvénients soit au point de vue de la société, soit au point de vue de l’individu. Au point de vue de la société, l’inconvénient est que souvent les organes différenciés en arrivent à se prendre pour des fins, alors qu’ils ne sont que des moyens au service de l’ensemble, et ils cherchent à se conserver et à s’accroître au préjudice du corps social. Au point de vue de l’individu, l’inconvénient est que l’individu attaché à une fonction finit

  1. Simmel, Année sociologique, 1896-97, p. 90.