grégaire, par la lâcheté et la férocité collectives, par l’asservissement veule de l’Individu aux volontés grégaires, par la défiance des supériorités, par la compassion hypocrite pour les faibles et les petits. — La morale des Maîtres est caractérisée par l’indépendance de l’esprit et du cœur, par l’attitude héroïque et dédaigneuse de la souffrance de soi-même et des autres. La morale d’Esclaves est dupe de l’Illusion du Progrès et se berce de je ne sais quel rêve d’avenir humanitaire qui ne serait en réalité que l’universel asservissement. La morale des Maîtres a le culte du Passé, de la Vieillesse et de la Tradition. Elle veut développer dans le Présent la Volonté de Puissance de l’Individu, dédaigneuse des promesses et des rêves de l’Avenir[1]. — Nietzche identifie les sociétés fondées sur la Morale d’Esclaves avec les sociétés démocratiques et les sociétés fondées sur la Morale des Maîtres avec les sociétés aristocratiques. À notre avis, Nietzche a eu raison de diriger ses sarcasmes méprisants contre l’Esprit grégaire, cet esprit de lâcheté et de cruauté collectives, dont il reste trop de traces dans nos sociétés. Il a le mérite d’avoir été un de ces généreux esprits qui, de nos jours, ont élevé contre l’Esprit grégaire la protestation de l’Individualisme et qui diraient volontiers avec un héros d’Ibsen : « L’homme le plus puissant est celui qui est le plus seul. »
Mais Nietzche a eu le tort de confondre ici l’Esprit grégaire et l’Esprit démocratique. L’Esprit démocratique n’a précisément, à notre avis, d’autre raison d’être que d’être une affirmation de l’Individualisme en face des tyrannies grégaires. En effet, l’Esprit grégaire n’est-il pas au fond de tous les préjugés stupides ou féroces qui déshonorent encore notre morale sociale et contre lesquels lutte précisément l’Esprit démocra-
- ↑ Voir sur la distinction de la Morale des Maîtres et de la Morale des Esclaves, Nietzche, Par delà le Bien et le Mal, ch. ix. Qu’est-ce qui est noble ? Éd. du Mercure, p. 219.