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fidèles de la vraie croyance te haïssent, et ils t’appellent un danger pour la foule. Ce fut ton bonheur qu’on se moquât de toi ; car vraiment tu parlais comme un bouffon. Ce fut ton bonheur de t’associer au chien mort : en t’abaissant ainsi tu t’es sauvé pour aujourd’hui. Mais va-t’en de cette ville, — ou demain, je sauterai par-dessus toi[1]… »

Nous sommes maintenant en mesure de comprendre les vrais rapports de la collectivité et de l’individu. Sans doute, une part de vérité est contenue dans ces vers de Goethe :

Wie viel bist du von andern unterschieden ?
Erkenne dich, leb mit der Welt in Frieden
[2].

Mais il ne faut pas non plus méconnaître l’inégalité et la diversité des individus. Il ne faut pas méconnaître la nécessité de la lutte pour créer l’idéal, pour sculpter la personnalité.

Au fond, il n’y a pas antinomie entre l’individualisme aristocratique et l’individualisme démocratique. Glorifier les grandes, les libres individualités humaines, c’est nous préparer à glorifier toutes les personnalités humaines, en tant qu’elles sont susceptibles de liberté et de grandeur. Une loi de Tarde (loi du passage de l’unilatéral au réciproque) pourrait intervenir ici pour expliquer ce passage de l’individualisme aristocratique à l’individualisme démocratique. Carlyle disait : « Je vois se préparer le plus béni des résultats : non l’abolition du culte des héros, mais plutôt ce que j’appellerais tout un monde de héros. Si héros signifie homme sincère, pourquoi chacun de nous ne peut-il être un héros ? »

L’ennemi, le danger véritable de notre démocratie,

  1. Nietzche, Ainsi parlait Zarathoustra, § 8.
  2. « En quoi et combien diffères-tu des autres ? — Reconnais-toi et vis en paix avec le monde ».