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individu ne sait pas opposer, dans ce grand nombre, un ego véritable, qui lui est propre et qu’il a approfondi à la pâle fiction universelle qu’il détruirait par là même[1]. » — Schopenhauer avait aussi noté cette illusion qui fait que tant d’hommes placent « leur bonheur et l’intérêt de leur vie entière dans la tête d’autrui[2] ».

Ce qui est socialement respectable est souvent sans valeur aux yeux de la raison individuelle de l’homme réfléchi.

Inutile d’insister davantage sur les conflits qui se présentent entre la conscience individuelle et la conscience sociale. Ce que nous venons de dire suffit à montrer qu’il y a là tout un champ ouvert aux investigations du psychologue social. Sa tâche principale serait de déterminer, parmi ces antinomies, lesquelles ne sont que provisoires et lesquelles apparaissent comme essentielles et définitives.

On objectera à ces études d’être plutôt littéraires que scientifiques. Ce reproche n’est pas de nature à nous inquiéter, si l’on entend par là que le sociologue doit s’attacher à la considération de l’aspect subjectif, — sentimental ou intellectuel — des phénomènes sociaux, au moyen d’une intuition psychologique analogue à celle qu’emploient le romancier, le moraliste, et d’une manière générale le peintre social. Car il vient forcément un moment où, dans le domaine complexe et délicat des choses sociales, l’esprit scientifique, avec ses compartiments rigides, — souvent artificiels, — doit céder la place à l’esprit de finesse. La méthode du psychologue social n’est pas « celle de la vulgaire logique de l’École, qui range les vérités à la file, chacune tenant les pans de sa voisine, mais celle de la Raison Pratique, procédant par de larges intuitions qui embrassent des groupes et des règnes entiers systé-

  1. Nietzche, Aurore, § 105.
  2. Nietzche, Aurore, § 105.