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pour les individus, une loi inéluctable. Elles doivent s’y résigner de bonne grâce. Il faut appliquer aux sociétés ce qu’un penseur contemporain dit de la mort des individus : « Nous devons accepter et subir la mort non comme un mal ou une peine, ouvrant des perspectives immenses et redoutables, mais comme la dernière fonction de la vie, l’acquittement d’une dette et le suprême devoir. C’est l’accomplissement d’une loi commune à tous les êtres, utile pour leur ensemble et salutaire à nous-mêmes. Puisque nos prédécesseurs sont morts pour nous faire place, nous aussi devons mourir pour faire place, à nos successeurs[1]. » Il faut voir par delà les formes sociales éphémères la vie profonde et immense de l’humanité dans laquelle la vie des sociétés se perd comme un élément presque aussi imperceptible que la vie de l’individu.

Que faut-il entendre par le fait de la dissolution d’une société ?

On doit entendre par là le fait que sous l’influence de certaines causes internes ou externes, les éléments qui composent une société cessent d’être reliés par le lien social auparavant en vigueur : ils cessent de faire partie de la combinaison sociale qui les retenait jusqu’alors, et sont pour ainsi dire remis en liberté, de même que les atomes d’un corps organisé, après la dissolution de ce corps, rentrent dans le grand Tout, libres d’entrer dans des combinaisons chimiques nouvelles.

Certaines causes peuvent anéantir une société sans anéantir tous les individus, ni même la majorité des individus qui la composent. Ceux-ci pourront poursuivre dans d’autres conditions leur destinée individuelle ; mais la société dont ils faisaient partie est morte.

  1. Bourdeau, Cause et origine du Mal (Revue philosophique, août 1900).