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L’attachement de la société aux opinions et aux conventions qu’elle juge utiles à sa conservation est tel que le type d’homme le plus haï et regardé comme le plus dangereux est peut-être le dilettante et le sincère ; parce que l’un dédaigne et l’autre refuse de rentrer dans le mensonge général.

Nous avons ainsi terminé l’émunération des principales lois de conservation que nous avons cru pouvoir dégager dans la vie des sociétés. Par l’effet de ces lois, une société organisée est douée d’une force d’inertie qui fait qu’elle se maintient par sa propre masse et qu’elle en impose même à ceux qui auraient la tentation de porter la main sur elle. « Ces grands corps, dit Descartes, sont trop malaisés à relever étant abattus, ou même à retenir étant ébranlés, et leurs chutes ne peuvent être que très rudes[1]. »

Cette force d’inertie sociale est, comme l’inertie physique, purement amorale, ou du moins elle ne reconnaît d’autre loi morale que la loi vitale : la tendance de l’être à persévérer dans l’être. Ces lois de conservation manifestent dans toute son intensité l’antinomie qui existe entre la Société et l’Individu ; on pourrait ajouter entre la Société et la Morale. L’esprit de ces lois se résume dans la doctrine de Machiavel, qui croit devoir établir une grande différence entre l’Individu et l’État en matière de moralité : l’Individu doit tout sacrifier à la vertu ; l’État doit tout sacrifier, même la vertu, à sa conservation. Le salut de la société, c’est la loi suprême.

On peut se demander comment l’intérêt et le droit de la société étant ainsi en antinomie avec le droit de l’individu, les sociétés peuvent se maintenir. La réponse est que, si l’organisation sociale tend à déprimer et à opprimer les individualités indépendantes et énergiques, elle favorise plus ou moins directement les

  1. Descartes, Discours de la Méthode, IIe partie.