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ment exagéré, mais sans réussir à changer le sentiment qui n’attribue pas à ces choses importantes autant d’importance qu’à ces choses prochaines méprisées. — Une fâcheuse conséquence de cette double hypocrisie n’en reste pas moins qu’on ne fait pas des choses prochaines, par exemple, du manger, de l’habitation, de l’habillement, des relations sociales, l’objet d’une réflexion et réforme continuelle, libre de préjugés et générale, mais que, la chose passant pour dégradante, on en détourne son application intellectuelle et artistique ; si bien que d’un côté l’accoutumance et la frivolité remportent sur l’élément inconsidéré, par exemple sur la jeunesse sans expérience, une victoire aisée, tandis que de l’autre nos continuelles infractions aux lois les plus simples du corps et de l’esprit nous mènent tous, jeunes et vieux, à une honteuse dépendance et servitude, — je veux dire à cette dépendance, au fond superflue à l’égard des médecins, professeurs et curateurs des âmes, dont la pression s’exerça toujours, maintenant encore, sur la société tout entière[1]. »

Ailleurs Nietzche décrit avec son habituelle ironie l’hypocrisie de ces moralistes qui « font semblant d’avoir découvert leurs opinions par le développement spontané d’une dialectique froide, pure, divinement insouciante, tandis qu’au fond une thèse anticipée est défendue par eux, appuyée de motifs laborieusement cherchés… La tartuferie aussi rigide que prude du vieux Kant, par où il nous attire dans les voies détournées de la dialectique qui mènent à son « impératif catégorique », ou plutôt qui nous y induisent, — ce spectacle nous fait rire, nous autres délicats, qui ne trouvons pas un petit divertissement à découvrir les fines malices des vieux moralistes et des prédicateurs de morale[2] ».

  1. Nietzche, Le Voyageur et son ombre, § 5 (Trad. H. Albert).
  2. Nietzche, Par delà le Bien et le Mal, § 5.