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Hegel. D’après ce philosophe, l’État est rationnel en soi ; il est une réalité absolue planant au-dessus de l’individu. Il a le droit suprême en face des individus. Il existe de par une Raison immanente en lui et divine. « Il est divin dans son essence. »

Sous sa forme morale, le dogmatisme social affirme que la fonction suprême et justificatrice de l’État est une fonction morale, la justice. Il tend à faire prédominer cette croyance qu’il y a dans la société, dans son ensemble, un principe de raison immanente qui fait triompher en fin de compte ce qui est conforme à la justice, c’est-à dire à la nature des choses, non seulement dans le présent, mais encore dans un état à venir, non-existant. Ce qu’on appelle nature des choses n’est d’ailleurs pas autre chose que l’ensemble des nécessités vitales de la société, ou, en d’autres termes, l’intérêt général. La morale n’est au fond qu’un utilitarisme social. « Quand nous voyons, dit M. Novicow, les événements prendre une tournure qui nous paraît être conforme à la nature des choses, nous disons que le bien triomphe. Quand nous voyons les institutions humaines s’arranger selon ce qui nous paraît conforme à la nature des choses, nous disons que la justice triomphe[1]. »

Plus on examine les codes moraux des diverses sociétés, plus ils apparaissent comme une sublimisation des nécessités vitales sociales, comme un impératif de l’égoïsme collectif.

On pourrait noter ici l’antinomie qui existe la plupart du temps entre le moralisme apparent et l’immoralisme réel des établissements sociaux. Machiavel a probablement formulé la politique de tout gouvernement quand il a formulé la politique de son Prince. « Il y a si loin de la manière dont on vit à celle dont on devrait vivre, que celui qui laisse ce qui se fait

  1. Novicow, Conscience et Volonté sociales, p. 180.