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l’antinomie dans la vie affective

nuance et sans critique ; il repousse indistinctement toutes les formes d’altruisme. Il ne fait aucune différence entre l’altruisme grégaire, expression de la brutalité, de la lâcheté et de la bêtise collective et certaines formes supérieures — possibles et désirables après tout — de l’altruisme.

On peut concevoir un individualisme différent qui, sans méconnaître les antinomies qu’on vient de constater dans l’ordre du sentiment, s’élève au-dessus de la revendication un peu simpliste et grossière qu’a élevée Stirner.

Ici l’individualisme n’est plus une négation brutale et globale de tout altruisme. Il est au contraire l’expression d’un altruisme plus exigeant et plus délicat, d’un besoin de sociabilité supérieure, plus large, plus sincère, plus intelligente, plus tolérante que celle qui est réalisée dans les groupes humains. Cet individualisme consiste à cultiver nos sentiments dans la mesure de notre richesse d’âme, à développer notre faculté de jouir et de souffrir sous ses formes les plus complexes et les plus élevées, à nous intéresser à la vie la plus riche et la plus belle. C’est l’individualisme aristocratique d’un Vigny, d’un Nietzsche, d’un Ibsen. Les héros ibséniens, par exemple, ne sont, pas de purs égoïstes stirnériens. Ils sont, en partie, en communauté de sentiments avec leur groupe et ce n’est que dans la mesure où ils éprouvent un désir de sociabilité