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l’antinomie dans la vie intellectuelle

a voulu un moment. Elles ne répondent plus à ce qu’il vient d’avoir été. Elles lui seront aussi étrangères que si elles étaient nées d’un cerveau différent du sien, que si elles avaient eu un autre but que celui de le servir. Stirner est un unique pour lui-même. Et surtout ne lui demandez pas ce qu’il sera dans cinq minutes. Il fait profession de l’ignorer totalement.

Ce qui se dégage de son œuvre, c’est le pyrrhonisme complet, absolu, sans atténuation aucune dans ce qu’il a de paradoxalement outré. — C’est une machine à douter des autres et de lui-même. Il doute des autres avec fureur ; repousse tous leurs projets comme des projets ennemis ; il doute de lui-même avec complaisance, comme des idées d’un ami imbécile. — On chercherait vainement chez Stirner autre chose qu’un tempérament de négateur. Son individualisme est purement négatif et destructif ; c’est l’individualisme d’un Erostrate intellectuel, d’un logicien absolutiste qui, sous prétexte d’émanciper l’intelligence, fait le vide en elle, qui supprime non seulement tous les actes de foi, mais toutes les pensées et se dresse, grimaçant, sardonique et crispé, sur les ruines qu’il a amoncelées.

L’évolution de l’esprit critique au XVIIIe siècle et au XIXe siècle peut faire comprendre jusqu’à un certain point l’attitude de Stirner. L’esprit critique a été de négation en négation : il a porté le scalpel dans toutes les croyances les unes après les autres ; il a