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l’antinomie dans la vie intellectuelle

Après avoir considéré l’intelligence dans son origine et dans sa genèse, puis dans son objet (la vérité), considérons-la maintenant dans son usage et sa fin. Nous retrouvons ici l’antinomie que nous poursuivons entre la sociabilité et l’individualité.

En un sens assurément l’intelligence est altruiste ou orientée vers l’altruisme. Elle établit un pont entre les moi par la communauté de la notion transmissible ; elle fait cesser l’isolement du moi en nous faisant concevoir l’impersonnel. Mais en un autre sens, l’intelligence est isolante, personnelle ; si elle unit les hommes, elle les divise aussi. En tant qu’elle dépend de la sensibilité (et n’en dépend-elle pas toujours plus ou moins), elle exprime notre moi individuel ; elle nous éclaire sur les différences ou les oppositions qui nous séparent des autres esprits ; elle peut se mettre au service de fins égoïstes ; elle peut édifier une théorie d’égotisme intellectuel. Certaines formes d’intelligence sont asociales ou antisociales de propos délibéré : esprit négateur, attitude du critique, du sceptique à outrance, du dissociateur de dogmes, du briseur d’idoles ; nihilisme intellectuel ; joie méphistophélique de l’Erostrate intellectuel qui joue avec les débris des pensées et des croyances.