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les antinomies entre l’individu et la société

la mesure où elle leur « réussit ». Car, dans le pragmatisme, la vérité est une « réussite ».

Un conflit apparaît ici comme possible et même comme nécessaire entre deux pragmatismes : un pragmatisme social dans lequel on prend comme mesure de la vérité l’utilité sociale et un pragmatisme individualiste ou égotiste dans lequel on prend comme mesure de la vérité l’utilité individuelle ou même la fantaisie et le caprice individuels[1]. Comme les deux utilités, l’utilité sociale et l’utilité individuelle sont loin de toujours coïncider, il peut se produire un conflit entre les deux vérités comme entre les deux utilités. Un penseur qui sera animé de sentiments anti-sociaux trouvera utile, intéressante, agréable et par conséquent vraie une conception de la vie qui s’harmonisera avec ses désirs antisociaux. Ce sera le contraire pour un penseur chez lequel les tendances sociales l’emporteront.

N’insistons pas davantage sur l’absence ou l’impossibilité d’une vérité objective et susceptible d’unifier et de discipliner la pensée individuelle et la pensée collective. Aussi bien notre but est-il moins de démontrer l’inanité du concept de vérité que d’établir la proposition suivante : à supposer qu’une vérité objective existât, elle serait incapable de

  1. Voir comme illustration de cette conception d’un pragmatisme égotiste, la curieuse étude de M. J. Bourdeau intitulée Un sophistique du pragmatisme et consacrée au pragmatisme italien et à M. Prezzolini (Pragmatisme et modernisme, p. 84 et sqq.).