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les antinomies entre l’individu et la société

En résumé, le conflit de l’intuition et de la notion est au fond le conflit du « sens propre » et du sens commun ; de l’esprit individuel et de l’esprit social. Ce conflit éclate fatalement un jour ou l’autre dans l’esprit de tout homme qui sait voir la vie par lui-même. Chez beaucoup, il est vrai, la faculté intuitive reste silencieuse, étouffée qu’elle est par les notions toutes faites mises en nous presque à notre insu par la société. Celles-ci vont se consolidant en nous, à mesure que le besoin de sentir et de penser par soi-même s’affaiblit, faute de s’exercer. Chez plus d’un, la pensée sociale s’installe de bonne heure en maîtresse absolue ; elle dit à l’intuition comme Tartufe à Orgon :

La maison est à moi ; c’est à vous d’en sortir.

L’intuition est, en un sens, un principe d’individualisme et comme de solipsisme intellectuel. Car elle est unique, incommunicable ou très incomplètement communicable[1]. Deux hommes n’ont jamais exactement la même intuition du même spectacle ni du même événement. Deux hommes ne la rendent jamais exactement non plus de la même façon. Du

  1. « Seule, dit Schopenhauer, la connaissance bâtarde, la connaissance abstraite, celle des concepts, peut se communiquer immédiatement, sans condition. Elle n’est que l’ombre de la véritable connaissance. Si l’intuition pouvait se communiquer, la communication en vaudrait la peine ; mais en définitive, nous ne pouvons sortir de notre peau ; il faut que nous restions enfermés chacun dans notre crâne, sans pouvoir nous venir en aide les uns aux autres (Monde comme volonté, t. II).