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les antinomies entre l’individu et la société

le moi, égoïste à autrui, l’individu à la société. Bien plus, le transcendantalisme de M. Bergson, comme celui d’Emerson ou celui de M. Mæterlinck, aboutirait assez logiquement à la conception d’une société idéale des âmes unies spirituellement dans un mode d’existence supérieur où les barrières de l’individualité seraient tombées, à la conception d’une communion transcendantale des moi, dans l’acte religieux ou dans l’acte esthétique.

Un pas de plus et les adeptes de cette philosophie inviteraient peut-être l’individu empirique à voir dans la société de ses semblables un symbole imparfait, une approximation lointaine de cette société idéale et ils nous exhorteraient à sacrifier notre égoïsme sinon à la société réelle, du moins à la société humaine idéale. Quoi qu’il en soit, la conception transcendantaliste de l’intuition ne permet pas d’opposer le moi à autrui, la pensée individuelle à la pensée sociale. Elle n’autorise pas une attitude d’insociabilité intellectuelle.

Mais on peut entendre autrement l’intuition. On peut s’en faire une conception empirique, telle que celle qu’expose Schopenhauer dans son chapitre sur les Rapports de l’intuitif et de l’abstrait et dans son chapitre sur le Ridicule[1], ou telle que la for-

  1. Dans le 3e volume du Monde comme volonté. — Ailleurs, il est vrai, Schopenhauer admet l’existence d’une autre intuition, mystique, transcendantale, qui aurait pour effet de faire tomber pour nous le voile de l’individualité et de nous révéler la radicale