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les antinomies entre l’individu et la société

Esprit) ; puissante par la science accrue et la solidarité élargie (Ibsen, l’Ennemi du peuple). Mais à vrai dire, ces velléités de sociabilité, ces espérances de sociabilité ou ces concessions à la sociabilité sont rares et précaires ; bientôt vaincues par le sentiment individualiste et antisocial qui est au fond de la morale aristocratique.

Les vertus recommandées ou glorifiées par les grands aristocrates ne sont pas les vertus proprement morales, les vertus chrétiennes ou même stoïques (sauf parfois et en partie, chez Vigny) ; ce sont des vertus de force, des vertus conquérantes, des vertus amorales. L’individualisme aristocratique ne représente pas la supériorité de l’individu comme une supériorité morale (point de vue chrétien ou stoïcien, vertus de dévouement, de sacrifice, de renoncement) ; il la représente plutôt comme une supériorité de la force, de l’intelligence, de l’énergie indépendante, de toutes les facultés non proprement morales (point de vue de Gobineau, d’Ibsen, de Nietzsche). L’attitude de l’aristocrate est donc naturellement orientée vers l’individualisme amoral et antisocial. Car l’aristocrate, dans son conflit avec la société, ne pourra manquer de se préférer à la société ; de préférer son propre idéal, c’est-à-dire le reflet de sa personnalité, à l’idéal social qu’il juge médiocre, faux et bas. Or ce conflit ne peut manquer de se produire. La foule déteste naturellement