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l’antinomie morale

principe admis, la vie intérieure elle-même, en tant qu’elle a des conséquences pour la vie sociale, risque fort de tomber tout entière sous les prises de la réglementation sociale ; et d’ailleurs, du moment que toute la conduite extérieure de l’individu est sujette à cette réglementation, n’est-ce pas une concession toute platonique, que celle qui consiste à lui laisser la liberté du for intérieur. C’est simplement, au fond, lui laisser les yeux pour pleurer.

La morale sociologique, se prétendant scientifique et objective, est fidèle à sa propre logique quand elle prétend éliminer de la morale le facteur personnel, l’évaluation personnelle, la réflexion et la décision individuelle. Mais c’est ce point essentiel qui est précisément le plus contestable. Les partisans de la morale sociologique oublient que le problème moral est un problème de valeur et qu’un pareil problème ne peut être solutionné au moyen de considérations purement objectives. Tout problème de valeur implique un élément subjectif : un jugement porté par l’individu, jugement qui se surajoute aux faits eux-mêmes ; une préférence personnelle qui les qualifie. Il y a là une « addition arbitraire[1] », un « mouvement intérieur[2] »

  1. Expression de M. Delbos : « La science objective des mœurs ne peut produire aucune règle définie qui prescrive à la volonté des fins à choisir — sinon par addition arbitraire ». (Cité par M. Faguet, Démission de la morale, p. 227.)
  2. Expression de M. Faguet (Démission de la morale, p. 236).