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l’antinomie morale

à restreindre le champ d’action de l’art moral scientifique et à soustraire à son contrôle toute une part importante de la vie individuelle. Il y a, selon ce moraliste, toute une partie de notre être : la partie intime, la vie intérieure, la vie de la pensée et du sentiment devant laquelle s’arrêtera l’art-moral-scientifique.

L’art moral n’atteindra que les parties sociales de l’homme. La partie proprement individuelle, le for intérieur, lui échappera. M. A. Bayet laisse à chacun la faculté de cultiver, à ses risques et périls, son « jardin secret ». — « L’art social, dit-il, s’abstiendra d’intervenir aux heures douloureuses de la vie intérieure. Il laissera à chacun sa souffrance grande ou petite, humble ou tragique, intolérable ou légère, durable ou fugitive ; car aucun des intérêts dont il a la garde n’est engagé dans la forme que peut prendre une douleur individuelle[1]. »

Cette réserve faite en faveur du for intérieur de l’individu témoigne de l’esprit libéral de M. A. Bayet. Mais elle ne nous paraît pas d’accord avec la direction générale de la morale sociocratique. Il est dans la logique de cette morale de vouloir pénétrer malgré tout jusque dans l’intimité des esprits et des cœurs. En effet, on connaît le lieu commun des moralistes sur l’étroite solidarité qui unit la vie

  1. A. Bayet. La morale scientifique, p. 169 (F. Alcan).