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les antinomies entre l’individu et la société

dans l’idéal et dans l’abstrait, n’étant pas d’ailleurs chargés par profession de surveiller et de diriger la pratique morale, ne se sentent pas obligés, comme l’étaient les directeurs de conscience, de rendre leur morale praticable ; de l’adapter à la diversité des circonstances et aux exigences de la faiblesse humaine. Il est naturel que des gens qui restent dans la théorie enseignent une morale austère, élevée, difficile et belle.

L’esprit politicien, qui pénètre tout de nos jours, est aussi pour quelque chose dans le discrédit de la casuistique. Les natures de politiciens démocrates sont volontiers simplistes, absolutistes et dogmatiques. C’est un scandale pour de tels esprits que de discuter son devoir et jeter par là un doute sur l’infaillibilité de la conscience et la certitude de la loi. Pour eux, on doit obéir à la loi sans discussion et sans examen ; à la loi morale comme à la loi civile. — Le rigorisme moral a enfin un appui, en dehors de l’Université et des politiciens, dans les classes ouvrières. Si le socialisme est, par certains côtés, d’inspiration sensualiste et matérialiste, il n’en incline pas moins, par un autre côté, vers un moralisme rigide, violent et autoritaire. L’ouvrier pénétré de la conscience de classe se fait de son devoir une conception absolue et intransigeante. M. G, Sorel a montré l’existence d’un « sublime » moral à l’état latent dans l’âme ouvrière ; d’une aptitude au sacrifice dans la