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les antinomies entre l’individu et la société

on déclare que tout individu qui agit différemment ne recherche qu’un faux bonheur et qu’il faut l’empêcher de nuire ainsi aux autres et à lui-même. Volonté générale, intérêt général, solidarité, ce sont là autant de fantômes idéologiques qui hantent et dominent l’individu de leur ombre redoutable, semblables au spectre Religion dont parle Lucrèce.

La théorie du Devoir un et absolu est un autre mensonge éthique supposé et réclamé par les précédents. En fait, pourtant, nous ne nous trouvons pas en présence d’un devoir unique et absolu ; mais en présence de devoirs multiples, relatifs, souvent divergents ou même contradictoires. On ne saurait accomplir un devoir qu’en en violant plusieurs autres. Le devoir de servir ma famille et mes amis contrarie mon devoir d’être juste envers tous. Mon devoir de respecter l’autorité nuit plus d’une fois au devoir de respecter et de dire la vérité. L’ouvrier en grève est pris entre son devoir envers sa famille et son devoir envers son syndicat. Ces conflits tiennent pour une bonne part à ce fait que l’individu fait partie de groupes multiples dont les intérêts ne concordent pas toujours.

Les moralistes ne peuvent nier ces conflits ; mais ils n’aiment pas à y attacher leur pensée. Ils ont généralement peu de goût pour la casuistique qui a l’inconvénient d’insister sur les imperfections de la solidarité sociale, sur les contradictions et les