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l’antinomie sociologique

d’hommes tels que les États-Unis d’Amérique ou peut-être dans un avenir plus ou moins prochain, les États-Unis d’Europe ; elle peut favoriser la formation de tel grand courant social ou religieux : provoquer peut-être l’avènement du socialisme universel ; tout cela n’augmentera pas nécessairement la somme de liberté ni la somme de bonheur des individus. Car le bonheur, comme la liberté, est chose individuelle. La liberté, c’est la diversité et la faculté de manifester cette diversité. Le bonheur suppose, lui aussi, la diversité des goûts et des préférences. Il varie avec les individus, l’un trouve son bonheur où l’autre ne trouve que souffrance et ennui. Ceux qui aiment l’uniformité trouveront quelque satisfaction dans l’avènement d’un vaste régime social unitaire : ceux qui se complaisent dans la diversité en souffriront. Le mot de Renan est très juste : « Il est devenu trop clair, dit-il, que le bonheur de l’individu n’est pas en proportion de la grandeur de la nation à laquelle il appartient[1]. » La loi de différenciation sociale croissante, contrepartie de la loi d’intégration, n’est pas non plus un sûr garant de la liberté ni du bonheur des individus.

La différenciation dont il s’agit ici est une différenciation extérieure, technique, fonctionnelle, professionnelle. C’est une différenciation par professions

  1. Renan. L’Avenir de la Science, préface, p. XVI.