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les antinomies entre l’individu et la société

peut-être les deux se sentent et se croient, dans l’intimité de leur conscience, lésées par le jugement rendu. Le grand bienfait de ce jugement est de rétablir l’ordre troublé, de sauvegarder la paix sociale. Le mot célèbre de Goethe pourrait servir d’épigraphe à tout libellé de jugement : « J’aime mieux commettre une injustice que supporter un désordre. » Le juge voulût-il donner satisfaction au sentiment de justice des individus, cette tâche dépasserait ses forces. Le juge ne peut descendre dans l’intimité des consciences, sonder les reins et les cœurs ; il ne peut apprécier que d’une façon très imparfaite et approximative les conditions, les circonstances, les mobiles d’un acte. Le juge applique un article du code à un cas donné comme le mathématicien applique une formule à un problème particulier. Mais la formule mathématique s’applique exactement tandis que l’article du code s’ajuste toujours assez mal au détail des faits. C’est pourquoi le juge ne doit pas y regarder de trop près. Sa fonction est de juger et il doit juger en tout état de cause. Ce dogmatisme juridique s’exprime naïvement dans l’article IV du Code civil qui enjoint au juge de juger coûte que coûte : « Le juge qui refusera de juger sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice. » Ainsi, en tout état de cause, la décision juridique doit être tenue pour bonne et elle doit l’être parce