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les antinomies entre l’individu et la société

qu’elle devenait plus intérieure, plus individuelle, la religion devenait plus différenciée, plus raffinée, plus compliquée, plus riche en nuances ; plus scrupuleuse aussi ; plus exigeante vis-à-vis d’elle-même, plus sublimée sentimentalement et intellectuellement, par suite plus critique, plus encline à l’analyse, à l’association, au doute et à l’hérésie.

C’est ici que la seconde forme de la pensée religieuse entre en conflit avec la première. La forme sociale de la pensée religieuse est l’orthodoxie ; sa forme individualisée est l’hérésie. On sait la lutte qui, de tous temps, s’est engagée entre ces deux éléments. L’hérésie a été, au cours de l’histoire, le perpétuel dissolvant des orthodoxies. L’hérésie n’est pourtant, ni en intention, ni en fait, un véritable individualisme religieux. Car l’hérésie tend elle-même à se socialiser, à dépouiller sa nature originellement individuelle pour devenir à son tour une orthodoxie ; cette dernière n’étant jamais qu’une hérésie qui a réussi. C’est pourquoi, si l’hérésie est un dissolvant de la communauté religieuse, elle est aussi pour cette communauté une perpétuelle cause de rajeunissement. Hérésie n’implique pas isolement absolu. Le sentiment religieux se comprend difficilement en dehors de toute sociabilité. Le moderne individualiste religieux, quand il fait appel à son expérience religieuse personnelle, n’est pas sans admettre au fond que cette expérience personnelle doit être aussi