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les antinomies entre l’individu et la société

sociale ; une dissociation des éléments sociaux, une volonté d’indépendance, de différence individuelle, d’exception et de sécession, d’isolement sentimental. Cette volonté d’indépendance, cette culture esthétique raffinée, si elle produit des exemplaires humains d’une singularité plus saisissante, est par contre funeste à la santé et à la force de l’organisme social. Le sentiment et la volonté de différenciation se convertit aisément en principe de révolte antisociale. Car se sentir différent, se décerner ce brevet de différence, « n’est-ce pas s’égaler à toute la société ? N’est-ce pas du même coup, supprimer, pour soi du moins, les obligations du pacte social ? Pourquoi en effet respecterions-nous ce pacte, s’il est l’œuvre de gens avec lesquels nous n’avons rien de commun ? Quel cas pourrons-nous faire d’une opinion publique dont nous savons qu’elle est forcément hostile à ce que nous portons de meilleur en nous[1] ? » Ici l’individualisme esthétique réjouit l’individualisme moral ou plutôt se confond avec lui. La culture esthétique se pose en adversaire de la solidarité sociale.

Aussi bien le fait que les moralistes convient les artistes à mettre l’art au service de la sociabilité indique assez que l’accord n’est pas fait dans l’ordre esthétique, entre les deux parties ennemies de

  1. P. Bourget. Loc. cit., p. 323 (à propos de Stendhal).