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l’antinomie esthétique

même chose que la règle, l’ordre, l’idée de gouvernement en politique et en sociologie. Pourtant les deux séries d’idées se tiennent de près. C’est pourquoi l’esprit classique est volontiers respectueux de l’ordre politique comme de la discipline esthétique ; il ne sera pas aisément un esprit de révolte et d’individualisme antisocial.

L’art classique est un art où l’originalité de l’artiste se subordonne volontairement à des règles étroites. L’artiste classique croit, selon la pensée de Goethe, que « se subordonner », pour l’écrivain, ce n’est pas seulement servir la société, c’est se servir lui-même. L’esprit classique représente ainsi, à certains égards, une volonté d’unité esthétique, sociale et morale, une volonté d’obéissance à l’ordre établi, d’adaptation et de subordination de l’individu au milieu.

L’art romantique est au contraire un appel aux idées d’indépendance individuelle dans l’ordre esthétique et par contre-coup dans l’ordre social[1]. — Le caractère antisocial de l’art décadent est encore plus fortement marqué. L’art décadent exprime, comme l’a montré M. P. Bourget à propos de Baudelaire[2], une diminution de la solidarité

  1. Il en est tout autrement de l’art réaliste à la Zola qui semble plutôt l’expression esthétique d’un déterminisme social annihilant l’individu.
  2. Essai de psychologie contemporaine, t. I ; Théorie de la décadence, p. 19.