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les antinomies entre l’individu et la société

n’attribue à l’art aucune fonction sociale ni morale. Loin de demander à l’œuvre d’art d’émouvoir tous les hommes de la même façon, il considère que la fonction et l’intérêt de l’art est d’exprimer l’originalité sentimentale de l’artiste, sa représentation du monde dans ce qu’elle a de plus intime et de plus personnel.

Que cette originalité soit forte ou faible, simple ou compliquée, que l’inspiration de l’artiste soit joyeuse ou triste, enthousiaste et exubérante ou concentrée et contenue, ce sont là des questions secondaires. L’originalité sentimentale présente des degrés et des aspects infinis. Il faut tous les admettre. Si chaque homme et, en tous cas, l’artiste qui par définition est un être différencié se fait une représentation particulière de l’univers, à chaque représentation personnelle doit correspondre nécessairement une traduction, c’est-à-dire un art personnel.

Nietzsche nous paraît avoir tiré de son principe de la volonté de puissance une esthétique trop exclusive qui se résume en un classicisme intransigeant[1].

    volonté morale, c’est la volonté se conformant à la loi, à la discipline commune. On comprend qu’en art cette volonté de conformisme soit sans valeur. Car en art il ne s’agit pas de se conformer à une norme ; il s’agit, pour l’artiste, d’exprimer d’une manière forte et neuve son originalité sentimentale.

  1. « La simplification logique et géométrique est une conséquence de l’augmentation de force ; d’autre part, la perception de pareilles simplifications rend intense le sentiment de la force… Sommet de l’évolution : le grand style. » (Volonté de puissance, § 359).