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les antinomies entre l’individu et la société

Avec Tolstoï, la thèse morale et sociale s’exagère jusqu’au mysticisme et produit toutes ses conséquences logiques : la négation de la beauté, la condamnation de la beauté, l’anathème contre la beauté. La beauté est chassée de la république chrétienne de Tolstoï, sans avoir même la consolation de la couronne de fleurs dont la gratifiait Platon. L’art est complètement dissocié de la beauté et Tolstoï en vient à tenir cette gageure étonnante pour un esthéticien et un artiste, de vouloir définir l’art « abstraction faite de cette conception de la Beauté qui ne fait qu’embrouiller la question[1] ».

Ainsi l’esthéticien individualiste et le moraliste comprennent diversement le rôle et l’importance de la beauté en art. L’esthéticien individualiste est un amant exclusif de la beauté. Pour lui, l’idée de la beauté se suffit à elle-même et prime toutes les autres. Le moraliste, lui, tient la beauté en suspicion ; il l’élimine ou du moins ne lui accorde en art qu’une place subordonnée.

L’esthéticien, individualiste et le moraliste ne s’opposent pas moins dans leur façon d’entendre la fonction de l’art.

D’après Guyau, l’art est le grand trait d’union des âmes ; il est une bénédiction sociale avant d’être une joie individuelle. Il est le serviteur de la vie,

  1. Tolstoï. Qu’est-ce que l’Art ?